• Rechercher les modèles des personnages de la Recherche est une opération paradoxale, puisque Proust lui-même, dans Contre Sainte-Beuve, s'est opposé à cette méthode, Madame Strauss (Bizet) par Delaunayexpliquant que le moi de l'écrivain qui crée est différent du moi mondain et qu'il faut séparer complètement l'homme et l'œuvre.
    Néanmoins ça m'amuse. L'opération me donne en quelque sorte une entrée poétique dans toute une société. Celle dont on voit les correspondances avec le journal des Goncourt dont je parle depuis un moment déjà (voir ici et ici et ici et ici et ici).
    Il y a par exemple Mme Strauss, dont l'esprit a inspiré celui de la duchesse de Guermantes. Ce ne sont pas exactement les mêmes références et la même vision du personnage pour Edmond qui décrit ainsi son salon :
    « Il y a là la duchesse de Richelieu, la duchesse de Gramont, la princesse de Beauveau... Saperlotte, je n'ai jamais rencontré réunie tant d'aristocratie dans un salon ! Ces femmes, ou brunettes ou blondinettes et généralement gentillettes, ont une distinction, mais pas une distinction de grande dame : une distinction bourgeoise de demoiselle de magasin suprêmement chic. C'est mignon, c'est genreux, et ça papote dans les coins, en grignotant des petits fours avec d'élégants froufrous et un caquetage d'oiseaux. » (Samedi 28 mai 1887.)

    Où Goncourt ne voit que des bourgeoises, Proust pas l'imagination leur rajoute la substance précieuse de l'Histoire et l'élégance qui transcende ces « demoiselles de magasin » en types idéaux.
    Une infusioLa comtesse Greffuhlen caractéristique de la méthode proustienne.
    Mais il ne faut pas croire que pour la duchesse de Guermantes, Proust s'est contenté de transposer la bourgeoise madame Strauss. Un autre de ses modèles, et peut-être le principal, est la comtesse Greffulhe, grande aristocrate qui l'invitait également, ainsi que Goncourt, lequel lui avait été présenté par son cousin Robert de Montesquiou - un modèle de Charlus.

    Et voici le jugement d'Edmond : « Une excentrique distinguée que cette comtesse Greffulhe : elle m'apparaît un peu comme la femelle du toqué qui se nomme Montesquiou-Fezensac. » (17 février 1890)
    Puis on découvre plus loin dans son journal cette sorte d'ironie de l'histoire : « Elle [la comtesse] ajoute que je devrais bien faire dans un roman une femme de la société, une femme de la grande société, la femme qui n'a encore été faite par personne, ni par Feuillet ni par Maupassant ni par qui que ce soit, et que moi seul, je pourrais le faire.... » (23 avril 1891)

    Eh bien, le portrait de cette femme de la grande société, c'est le petit Marcel qui s'y collera !
    Et qu'on ne me dise pas que ces correspondances ne sont pas suprêmement intéressantes...





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