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Par Alain Bagnoud le 4 Juin 2009 à 12:09
Quand je lisais du Cendrars à vingt ans, plus particulièrement ses œuvres autobiographiques, ce qui m'intéressait surtout, c'était le personnage qu'il se fabriquait: l'aventurier et le buveur, coureur de bordels, connaissant tous les ports, tous les bars, tous les alcools et toutes les filles, ayant fréquenté tout ce qui comptait à son époque comme rénovateurs de l'art, Picasso, Modigliani, Utrtillo, Fernand Léger, Apollinaire, Max Jacob...
En relisant L'Homme foudroyé, je retrouve évidemment cet aspect. Mais j'y suis moins sensible qu'à bien d'autres. L'Homme foudroyé est une sorte de somme, et un recommencement aussi.
Au début de la Deuxième guerre mondiale, quand les Allemands envahissent la France, Cendrars est effondré. Je rappelle qu'il avait perdu son bras droit lors de la première guerre, où, Suisse d'origine, il s'était engagé dans la Légion étrangère pour défendre cette France qu'il aimait. Choqué, il se retire à Aix-en-Provence et il arrête d'écrire. Puis en 43, son ami, romancier Édouard Peisson, lui rend visite, lui parle d'un officier allemand qu'il est obligé d'héberger, et qui l'a appelé la veille pour qu'ils observent ensemble une belle éclipse de lune avant de gagner sa chambre avec « une grue invraisemblable qu'il avait ramenée de Marseille... »
Pourquoi ce récit provoque un renouveau, il faut peut-être le demander à la psychanalyse. En tout cas, il déclenche en Cendrars un tel choc qu'il se remet à sa machine à écrire pour parler de cette première guerre, évoquer la légion et ses combats. Les souvenirs se déploient ensuite, englobent ce qui s'est passé après qu'il soit revenu de la guerre, son mariage avec une gitane qu'il a connue par l'entremise d'un ancien légionnaire dont il était caporal, la guerre entre clans manouches, ses expéditions cinématographiques en Afrique et au Brésil pour filmer des animaux...
La mémoire le fait quitter sans cesse le fil chronologique pour mettre en relation des épisodes différents selon des lois qui lui appartiennent et dans une langue virtuose qui est un torrent, un magma, un jaillissement qui use de toutes les formes et connaît toutes les techniques.
Le personnage est beaucoup plus contrasté que celui dont je me souvenais. Il y a en Cendrars ce type turbulent, aventurier, audacieux et un peu hâbleur dont je parlais plus haut, mais aussi un amoureux courtois, un rat de bibliothèque qui connaît les manuscrits les plus rares, un mystique en recherche de l'absolu, un amoureux des petites gens, un poète plein de finesse...
Et finalement, c'est une leçon de vitalité, d'optimisme, d'amour de l'existence, de sagesse et de littérature que j'ai prise à cette relecture. Donc, Cendrars: au panthéon!
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