• Sur Transports, Un article de Jean-Marc Theytaz, paru dans Le Nouvelliste du 17 octobre 2011:

    «Transports» voilà le titre énigmatique du dernier ouvrage de Alain Bagnoud, auteur valaisan publié aux éditions de l’Aire: un recueil de textes en prose, qui nous parlent d’aujourd’hui, ici, maintenant. Des notes poétiques qui nous mettent en relation avec le quotidien, avec ses ouvertures et ses fermetures, avec ses étonnements, ses élans, ses déceptions.
    En relation avec le présent

    «Vivre dans le présent, loin des regrets et des projections. Regarder les arbres trempés, les haies ruisselantes, la route qui miroite, les lumières pâles des réverbères, la baraque en bois, plus loin dans une propriété, qui abrite des outils de jardinage.»

     Alain Bagnoud saisit des instantanés, comme des photos, nous offre des cartes postales, qui dans un cadre déterminé ouvrent l’horizon précis d’un lieu, d’un personnage, d’un état d’âme, d’un sentiment, d’une atmosphère,a vec aussi une grande attention à la description, des paysages, des personnages, de leurs traits, de leurs vêtements.

    Des tableaux et des atmosphères

    Des tableaux de peintre aussi, qui suggèrent, proposent, effleurent ou alors dessinent à grands traits, avec des couleurs contrastées des tranches de vie particulières.

     Figuratifs, abstraits, avec des compositions géométriques et des scènes existentielles, ces textes courts, concis, nets, traversés de poésie, se laissent lire au fil des jours, comme des bols d’air frais, des éclairages significatifs, des temps d’arrêt sur une réalité marquée par un mouvement perpétuel et permanent, comme dans un brouhaha général.

    «Puis cette petite ville qui a un air provincial. J’ai envie d’y descendre pour me reposer....» «J’aimerais retrouver un jour tous les textes que j’ai égarés dans les carnets perdus, sur des feuilles volantes, dans les ventres d’ordinateurs morts. Je les ornerais de biffures, j’organiserais des déplacements, rechercherais des synonymes. Sinon, ça n’est pas plus intéressant que ces magnifiques collections de coléoptères dans ces armoires vitrées. J’écris ça et un papillon bleu vient se poser au bord de la flaque d’eau, devant ma chaussure, dans une forêt d’épicéas à 12000 mètres d’altitude. Papillon bleu, qu’est-ce qui restera de lui dans une année?Feuilles effritées, mots desséchés....»

     L’écriture de Alain Bagnoud est tout en retenue, serrée, rythmée, allusive et précise à la fois:» «Nuit de pleine lune. Elle est ronde entre les fils électriques tendus sous le ciel violet. Une jeune fille apeurée me guette du coin de l’œil pour s’assurer que je ne suis pas un prédateur. Un loup-garou. Sans doute est-elle sensible. un vrai radar. Elle me devine....»

     On se laisse prendre par ces récits courts qui permettent de creuser l’ordinaire , le quotidien et de mieux s’en imprégner, y adhérer de manière fusionnelle.

                                                            Jean-Marc Theytaz

     

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    Un compte-rendu de Julien Burri dans L'Hebdo du 27 octobre:

     

    En cent textes courts, le Genevois Alain Bagnoud croque les voyageurs croisés dans les trams, les trains ou sur les aires d'autoroute. Il observe ses semblables, les "panoplies" que chacun adopte pour se bricoler une identité. L'écrivain est comme hors-jeu et reste en surface. mais souvent, l'émotion surgit, ou l'humour, et il parivient à capter l'identité d'inconnus en quelques mots. A restituer l'étrangeté du monde, sans émerveillement ni inquiétude. Juste l'étrange sentiment d'être là.

                                                        Julien Burri

     

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    Un tramway nommé désillusion (Blog de la la Tribune de Genève)

    A quelle posture nous contraint la lecture de Transports, le dernier livre d’Alain Bagnoud? Au fil des textes qui se succèdent, et dont le rythme est donné par la juxtaposition d’instantanés, nous accompagnons des poses, des faits, des paroles, des gestes en apparence anodins.

    En surface, le texte se présente comme un ensemble de clichés pris sur le vif du réel dans les transports publics (trams, trains, bus, et même téléphériques), ou les endroits qui en constituent les étapes (gares, cafés, arrêts de bus). Derniers lieux démocratiques où s’égalisent les différences, où marginaux, travailleurs, bourgeois, jeunes, vieux, pauvres, aisés se côtoient sans se rencontrer, sans se parler, sans se comprendre, chacun dans sa bulle ou «chez» son Natel, comme disait Nougaro de l’automobile. Des lieux où l’absence d’agressivité n’est que la marque d’une profonde indifférence («Comment tant d’individus peuvent-ils tenir dans un espace si étroit sans qu’ils s’entretuent?»), des lieux où passe, s’attarde, erre, selon les heures du jour ou de la nuit, une population hétéroclite, nomade, «multiculturelle», une sorte de microcosme de l’humanité soustraite uniquement de sa partie la plus privilégiée. Un point d’observation idéal. En artiste, Bagnoud ne s’y est pas trompé.

    Un texte impressionniste donc, où se dessine, par traits légers ou petites touches successives, le portrait d’une modernité dont on ne perçoit ni sens ni cohérence. C’est que l’auteur adopte une écriture de type «behaviouriste», qui s’attache essentiellement aux comportements, aux gestes, à «l’extériorité», sans jamais s’aventurer dans l’intériorité des personnages. Ainsi désincarnée, amputée de ses motivations, sentiments ou intérêts qui en justifieraient les actions, cette humanité semble réduite à l’absurdité de ses mouvements répétés sans rimes ni raisons. D’où une vague impression de nausée, judicieusement contenue par l’humour du trait et la dérision du portrait.

    Voilà pour la surface. Car l’important semble ailleurs. Derrière tous ces personnages qui hantent les transports et lieux publics, qui en occupent le premier plan, il faut induire celui par qui ces personnages sont vus. Le perçu renvoie à celui qui perçoit, l’impliquant et le désignant en creux. Comme si l’état d’âme du photographe importait plus que le sujet photographié. En ce sens, le texte ne se réduit pas à des tranches de descriptions mais à une succession d’états de conscience qui font émerger peu à peu, en négatif, un narrateur et son histoire. Dans Transports, ce n’est pas le sujet qui construit son objet, mais l’objet qui désigne le sujet.

    D’abord relégué dans les coulisses ou dissous dans la neutralité du «on», le narrateur envahit peu à peu l’espace pour en occuper la première place. Si nous sommes contraints de voir par ses yeux sans le voir vraiment, c’est lui, avant tout, que nous découvrons en filigrane d’une galerie de portraits hétéroclites, lui dont on accroche brièvement la silhouette au hasard d’un reflet dans la vitre d’un tram.

    Cette émergence d’un «je» qui se met progressivement en scène trace un parcours contenant son propre échec. Le parcours d’une désillusion: «Je n’y arrive plus. Prendre facilement des notes (…) A force est venue l’impression que ça se répète. Les mêmes gens, les mêmes trajets, les mêmes phrases». L’échec commence par l’entreprise littéraire elle-même pour s’étendre bientôt au statut de l’écrivain: «Je ne pensais pas que vouloir devenir écrivain, c’était également ça. Etre appelé parfois dans une autre ville (…) Dans le meilleur, on vous glisse une enveloppe. Souvent, le trajet seul est remboursé, en deuxième classe, en demi-tarif. Il arrive aussi que ce n’était pas prévu, ils n’y ont pas pensé, ce sera difficile». Mais il contamine très vite d’autres secteurs pour s’attaquer à l’âme: «Puis dans ces trains, je compare ma vie avec celle dont je rêvais», «Je sais qu’il est temps de changer de vie. Mais il me semble que retrouver le poison en moi ne me mènerait à rien».

    Qui parle? Qui est ce «je» désabusé faisant une sorte de bilan de sa vie au travers du portrait de ses semblables, de la masse desquels il n’est pas parvenu à s’extraire comme ses rêves de jeunesse l’avaient imaginé? Un écrivain déçu, un professeur désillusionné, un bourgeois qui s’encanaille dans les zones floues des transports publics où s’agglutine les laissés-pour-compte, les marginaux, les hors normes, un propriétaire de vignes qui se donne bonne conscience en feignant l’empathie envers les déshérités ou les mendiants roms pour s’en dédouaner aussitôt: «Moi, je suis un nanti et je trouve, par confort, que la charité est égoïste». Qui? Bagnoud bien sûr, mais aussi vous, moi, tout le monde. Avoue-le! Tu ne la voyais pas comme ça, ta vie!

    Ces Transports, à l’image de l’existence, ne mènent nulle part. Ils reviennent immanquablement au point de départ, comme le souligne l’éternel retour des forains dans les scènes initiale et finale, symbole du vain divertissement face au vide de l’existence. Pourtant, entre ces deux scènes, deux différences de taille: l’irruption, à la fin, du tragique par la mort accidentelle d’un adolescent téméraire dont seul le casque reste au bord de la route, et l’interrogation angoissée sur la solitude et l’exil irrémédiables du vieillard auquel le «je» semble s’identifier par projection. On pense à Gaspard de la nuit, du dijonnais Alyosus Bertrand, où le retour des petits ramoneurs savoyards marquait le rythme des saisons, des us et coutumes qui donnaient sens au réel. Sauf qu’entre 1841 et 2011, la modernité s’est repue du sens des traditions pour n’en laisser qu’une triste carcasse sur laquelle ne se pose plus que le conformisme des distractions de masse. La fête terminée, «il semble que rien ne se soit passé de ce qu’on voulait qu’il se passe». Conclusion d’un premier instantané déjà prophétique des suivants…

    «Est-ce que les choses nous dévoilent d’autres aspects si on les observe souvent?» s’interroge le narrateur, énonçant ainsi le fondement même de son entreprise littéraire. Non, semble-t-il répondre. Du moins «quand on est hors jeu et le monde dans sa représentation». Car le véritable lieu du tragique reste l’absence totale de communication, de communion, entre les êtres. Narrateur, personnages, chacun est posé l’un à côté de l’autre, dans sa cage de verre, construisant sa propre réalité fantasmée ou enfoncé dans une solitude ontologique qui annihile toute possibilité d’empathie. Le narrateur, pour s’extirper de cette absurdité, en vient à souhaiter sa dissolution dans l’informe ou l’abstrait, «n’être plus rien que le regard qui contemple ces chaussures rouges en forme de souris», pour le moins son émancipation des contraintes temporelles, «vivre dans le présent, loin des regrets et des projections».

    Projet vain. Fuite vaine. Mais il reste une acceptation possible dans l’humour et l’autodérision: «J’aimerais percer le mystère des gens grâce à leur apparence. Pourtant, lorsque je me regarde dans la glace, je me trouve un air de boxeur dandy qui aurait fini misérablement sa carrière et travaillerait comme videur dans une boîte de nuit. Raté, mais content de son gilet de velours».

                                                     Pierre Béguin

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    Un compte-rendu paru dans La Gruyère du 17 novembre 2011

     Au rythme des saisons, défilent voyageura anonymes, passagers de trams et de trains, pendulaires en transit dans les cafés. Et un narrateur avec son carnet, qui voit passer jeunes et vieux, familles et solitaires, capte des bribes de conversation. Il observe la lumière du matin "qui avance comme une ballerine", les arbres et les maisons qui "semblent des signes sur la page du paysage".

    En cent textes brefs (une page maximum) le Genevois Alain Bagnoud déroule dans Transports un savoureux journal impressionniste. Car il procède par touches, ironiques ou mélancoliques, drôles ou désabusées. Aucune morale ni théorie philosophique, juste ce regard acéré, cette grâce de l'écriture d'un auteur qui parvient à se placer au coeur du monde tout en prenant du recul, de la hauteur.

                                                               EB

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    Un article d'Antonin Moeri. Paru le 15.11.11 dans Blogres, le blog d'écrivains (Tribune de Genève)

    Choses vues

    Il a raison Béguin à propos de «Transports». «Une écriture de type behaviouriste qui s’attache aux comportements, aux gestes, à l’extériorité, sans jamais s’aventurer dans l’intériorité des personnages». Je ne sais pas si Bagnoud, comme Hemingway ou Simenon, revendique l’influence de Dashiell Hammett, dont l’écriture sèche, visuelle, désencombrée est un modèle d’efficacité. Dans «Transports», pas d’intrigue, de détective ni de meurtrier, mais un regard posé sur des gens du XXI e siècle, des gens que vous pouvez croiser dans un train de banlieue, une télécabine, un café portugais, un abribus, sur le quai d’une gare ou une terrasse de bistrot. «Des minettes court vêtues et multiculturelles avec des collants noirs, des bijoux en toc». Avec le même détachement sont décrits les personnages sur des affiches publicitaires. «Des hommes et des femmes en slips blancs s’y examinent les jambes avec admiration». Et quand on croise «un islamiste médiatisé interdit d’enseignement parce qu’il prône la lapidation des adultères», on enregistre pareillement la chose. Heureusement, il y a l’humour, qui sauve tout. On ouvre le journal et «on tombe sur une réclame pour se faire raffermir les fesses». Ou bien on imagine comme «il serait agréable de pondre des vers de mirliton et de les entendre déclamer dans une fête. Ensuite on me mettrait une couronne de lauriers en carton et on me proclamerait prince des poètes».

    L’auteur est toujours le témoin oculaire ou auriculaire des faits qu’il relate. Les instantanés du quotidien ne sont jamais perçus par un autre personnage, le souci étant de coller au monde qui nous entoure, cet univers multicolore et divers, où se croisent les puissants et les indigents, les braillards et les déprimés, les Américaines aux doigts manucurés et les papas torchons, les déménageurs et les Chinoises transplantées, les Ethiopiennes à percing et les Asiates en baskets rouges, les jolies petites Kosovares et les intellos sûrs d’eux.

    Pas de narrateur dans «Transports» puisqu’il n’y a pas d’histoire à raconter, à prendre en charge. «J’aimerais n’être plus rien que le regard qui contemple ces chaussures rouges en forme de souris». C’est un foyer mobile de perceptions qui opère comme un charme. Car celui qui voit, entend et sent ne se soucie plus du regard des autres. Son désir: saisir le monde, non pas dans sa volonté, mais dans sa représentation. «J’aimerais percer le mystère des gens grâce à leur apparence». Une énigme dont Bagnoud va essayer de trouver le mot en sortant le carnet de sa poche ou l’ordi de sa fourre, en décrivant ce qu’il voit, ici, là-bas, en notant les vertiges et les moments hors du temps, en se demandant ce qu’écrire veut dire, quelle posture adopter devant les mélèzes somptueux, une immigrée congolaise qui a connu l’esclavage, «une pub de fringues qui fait miroiter des rabais», quel sens donner à tout ça. Pourquoi écrire? A cette question, l’auteur et moi-même ne saurions répondre comme le fit Céline «Pour payer mon loyer», ou comme le fit Viala «Pour bouffer». Alors nous continuerons de prendre des notes, avec «le sentiment que quelque chose peut être sauvé».

    Alain Bagnoud: Transports, L’Aire, 2011

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    Un article sur Transports paru dans Le Temps du 23.12.2011 | 16 janvier 2012

    Chansons pour le temps présent

    Alain Bagnoud livre avec «Transports» un petit catalogue poétique d’impressions romandes


    Genre: choses vues Réalisateurs: Alain Bagnoud Titre: Transports Studio: L’Aire, 110 p.

    «Le lac plat évoque une patinoire. Les arbres et les maisons semblent des signes sur la page du paysage. Deux agents de la police ferroviaire avancent dans le couloir. La matinée est verte, blanche, or.» Alain Bagnoud voyage dans cette Suisse romande où nous vivons. Il prend les «transports», des trains, des bus. Il regarde autour de lui, les gens, les paysages, les couleurs, le temps qu’il fait. Il observe. Il écoute. Il note. Et cela donne de minuscules chroniques, alertes, vives, précises.

    L’auteur de La Leçon de choses en un jour (L’Aire, 2007) explore avec une légèreté allègre les possibilités poétiques des villes, des lieux où nous vivons, s’attachant au plus banal. La marge poétique est étroite par ici, on s’en rend compte, mais il s’emploie néanmoins à la saisir. Ici ou là, une note sonne un peu aigrelette, Alain Bagnoud n’est pas toujours tendre pour ses semblables. A propos d’un comédien qui vient de lire ses textes: «Sa langue butait tous les dix mots…» On préfère quand cet «homme aux semelles de vigne» s’emploie à «vivre dans le présent, loin des regrets et des projections» et qu’il nous livre, palpitantes, ses impressions du réel.

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    Article sur transport par Jean Michel Olivier | 07 février 2012

    Le Valais est une terre de vignerons et d'écrivains. Il n'y a pas si longtemps, Maurice Chappaz, grand bourlingueur devant l'Eternel, poète lumineux, fut le gardien des vignes de son oncle Troillet, à Fully. Si l'encre est le sang des livres, le vin, souvent, est le sang des poètes.

    Chaque année, à l'époque des vendanges, des livres sortent des presses romandes, parmi lesquels il y a de grands crus. C'est le cas de deux écrivains valaisans, Germain Clavien et Alain Bagnoud. Tous deux sont fils et frères de vignerons. Et leurs livres poursuivent, à leur manière, le cycle de la vigne. C'est-à-dire des saisons.

    [...] L’oeuvre d’Alain Bagnoud (né en 1959) est sans conteste l’une des plus intéressantes de Suisse romande. Voilà un Valaisan de pure souche, né au milieu des vignes, à Chermignon, qui, par les hasards de l’existence, est venu s’installer à Genève, où il a poursuivi des études universitaires. Il raconte l’histoire de ce déracinement, à la fois douloureux et nécessaire, dans une trilogie autobiographique parue aux Editions de L’Aire. aujourd’hui, il nous donne une sorte de « journal extime ». Un recueil de textes parus d’abord sur le blog qu’il anime depuis plusieurs années, et qui est une mine d’informations et de réflexions sur la littérature (http://bagnoud.blogg.org). Cela s’appelle « Transports »**. C’est une série d’instantanés, poétiques et fugaces, dans lesquels Bagnoud essaie de ressaisir une atmosphère, d’éclairer le mystère d’une rencontre. Il écrit dans le mouvement, parfois la hâte. Les bus, les trains, les trams. Ce qu’on appelle les transports publics. Mais son œil est celui d’un poète et d’un entomologiste. Il étudie les hommes (les femmes surtout!) avec amour et étonnement. Il ne se lasse pas de les regarder. De les décrire. De les interroger. Sous la loupe de son style élégant et précis. Son petit recueil de proses poétiques est l’un des plus beaux livres de l’année.

    ** Alain Bagnoud, « Transports », L’Aire 2011

    Par Jean-Michel Olivier
    (Chronique parue le samedi 4 février 2012 paru dans le Nouvelliste)

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    Trouvère du quotidien (Jean-Louis Kuffer (24 heures) 03/01/2012)

     

    Dans  ses Transports, Alain Bagnoud, mêle humour et tendresse avec bonheur. Tout à fait épatant !

     Dans le mot transport on entend à la fois « transe» et «port», double promesse de partance et d'escales, mais on pense aussi voyage en commun, déplacements par les villes et campagnes ou enfin petites et grandes effusions, jusqu'à l'extase vous transportant au 7e ciel...

    Or il y a de tout ça dans le recueil bref et dense d'Alain Bagnoud, écrivain valaisan prof à Genève dont les variations autobiographiques de lettré rocker sur les bords (tel Le blues des vocations éphémères, en 2010) ont déjà fait date, à côté d'un essai sur « saint Farinet », notamment.

    En un peu plus de cent tableaux incisifs et limpides à la fois, ce nouveau livre enchante par les notes consignées au jour le jour, et sous toutes les lumières et ambiances, où il capte autant de « minutes heureuses », de scènes touchantes ou cocasses attrapées en passant dans la rue, d'un trajet en train à une station au bord du lac ou dans un troquet, avec mille bribes de conversations (tout le monde est accroché à son portable) en passant : « Ah tu m'étonnes. (...) Elle a un problème celle-là j'te jure ! C'est une jeune Ethiopienne avec un diamant dans la narine et des extensions de cheveux », ou encore : «Chouchou on entre en gare, chouchou je suis là »...

    Entre autres croquis ironiques : « J'ai rendez-vous avec une grande dame blonde qui a des cailloux dans son sac. Elle les ramasse au bord de la rivière et elle les offre à ses amis. Elle donne aussi des cours de catéchisme et organise des séjours pour le jeune qui aspirent au partage. Mais explique-t-elle, ils préfèrent que ça ne se sache pas ».

     Sortie de boîtes, terrasses, propos sur la vie qui va (« Le fleuve coule comme le temps depuis Héraclite. C'est la saison des asperges », ou « Il est minuit. J'ai vieilli trop vite »), observations sur les modes qui se succèdent (« le genre hippie chic revient ») ou sur de menus faits sociaux (ce type « en embuscade pour un poste prometteur, ou cet autre qui affirme que « les technologies sont des outils spirituels »), bref : autant  de scènes de la vie des quotidienne dans lesquelles l'auteur s'inscrit avec une sorte d'affection latente : « J'aimerais percer le mystère des gens par leur apparence. Pourtant, lorsque je me regarde dans la glace, je me trouve un air de boxeur dandy qui aurait fini misérablement sa carrière et travaillerait comme videur dans une boîte de nuit. Raté, mais content de son gilet de velours »...

     Alain Bagnoud. Transports. Editions de L'Aire, 107p.

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    Ecrire met de l'ordre dans ma vie» «Quand j'écris, je suis plutôt dans la jouissance»

    (Le Nouvelliste du 13.10.2010, repris dans autofiction.org)

    13 octobre 2010 - MANUELA GIROUD  -  

    LITTERATURE Hôte ce soir du château Mercier, Alain Bagnoud raconte la naissance de sa vocation dans son nouveau roman. Alain Bagnoud, 51 ans, né à Chermignon, vit à Genève, où il enseigne le français. A collaboré en tant que chroniqueur et éditorialiste au «Journal de Genève », au «Nouveau Quotidien» et au «Journal de Sierre». Parmi ses publications: «L'oeil du crapaud» (roman, 1991), «Saint Farinet» (essai, 2005), et trois volumes d'autofiction: «La leçon de choses en un jour» (2006), «Le jour du dragon» (2008) et «Le blues des vocations éphémères» (2010).

    Il trouve le mot un peu pompeux, un peu connoté, mais l'utilise pourtant. Oui, l'écriture est une vocation pour Alain Bagnoud. Le Valaisan de Genève l'évoque dans «Le blues des vocations éphémères», troisième volet de son entreprise d'autofiction commencée en 2006. Où il raconte comment lui, le fils de paysan de 20 ans qui se sentait en décalage dans le monde universitaire, a su que la littérature serait sa voie. Un texte touchant que l'auteur vient présenter ce soir à Sierre.

    Pourquoi avoir entrepris ce travail d'autofiction?

    Pendant une dizaine d'années, j'étais bloqué dans l'écriture, je n'arrivais plus à écrire un roman qui soit satisfaisant. Alors j'ai écrit une autobiographie. Le texte était très médiocre mais il m'a donné envie d'aller creuser dans le matériel autobiographique, de l'utiliser en le fictionnant, en lui donnant un côté romanesque. Et puis je suis à un âge où l'on s'interroge sur sa jeunesse.

    Comment l'écriture a-t-elle pris le pas sur la musique et la peinture, qui vous attiraient aussi?

    Dès mes 12 ans, c'était vraiment l'écriture qui m'intéressait. Mais à l'université je me suis senti indigne, je me suis dit: «Ce n'est pas pour moi, je ne mérite pas de le faire.» C'était probablement lié au fait d'affronter, à travers l'université, de grands auteurs, mais aussi à une origine sociale. Une sorte de complexe d'infériorité provincial et villageois me faisait penser que je ne méritais pas de pénétrer dans la caste socio-culturelle des écrivains. Ensuite le choix s'est fait un peu par élimination. J'ai vu que la littérature était tout ce qui m'intéressait réellement et qu'elle me permettait d'avancer, de m'épanouir. Ça m'a rassuré et j'ai accepté ma «vocation».

    Etre enseignant et auteur publié alors qu'on se rêvait écrivain, c'est une frustration?

    Non, c'est très bien comme ça. J'ai pensé toute ma jeunesse que je serais enseignant et écrivain. Ce n'est pas exactement au niveau du rêve adolescent où l'on se voit devenir Chateaubriand, mais, après, les sujets de satisfaction se déplacent. On voit que ce qui nous intéresse, ce n'est pas tellement le succès commercial mais plutôt la satisfaction d'écrire; c'est ce qui fait qu'on continue.

    Quel regard portez-vous sur celui que vous étiez à 20 ans?

    J'ai pas mal de tendresse et d'ironie pour lui. Réécrire sur ce personnage et sur le passé m'aide à mieux le comprendre et à trouver que, finalement, il a fait ce qu'il pouvait.

    L'autofiction vous permet de vous réapproprier votre passé?

    Oui, et c'est comme si je recréais ma propre vie. Tout ce qui était un peu inutile, ou de l'ordre du hasard, je le place dans un système que je construis, qui est totalement subjectif, qui fait sens et me donne l'impression d'avoir une vie qui est organisée, qui va vers un but. Ça met de l'ordre dans ma vie. Ça me fait me sentir plus à l'aise par rapport à mon passé, plus serein.

    Quelle est votre ambition littéraire aujourd'hui?

    Au niveau personnel, écrire m'est indispensable. Je le fais tous les jours. Parce que ça donne une profondeur à ma vie et que ça me fait du plaisir - je ne suis pas dans la douleur, plutôt dans la jouissance. J'ai du plaisir aussi à sentir que mon écriture évolue, j'essaie de l'améliorer. Sur le plan social, je n'ai pas beaucoup d'ambitions. La littérature a perdu son prestige, c'est quelque chose d'un peu clandestin. En même temps, j'aime ça, j'ai beaucoup de contacts avec des écrivains, il y a des lecteurs qui sont là, ça fait comme une petite tribu dont les gens se reconnaissent.

    Ce troisième volet appelle une suite...

    Je le vois comme la fin d'une espèce de trilogie enfance-jeunesse. Avec cette sorte de conclu- sion que donne le livre, c'est-à-dire que je vais oser écrire, ça boucle un peu la chose dans ma tête. Je vais continuer à travailler sur l'autofiction puisque je m'y sens bien, mais en essayant de trouver une forme différente pour raconter la suite.

    «Le blues des vocations éphémères», Editions de l'Aire, Vevey, 2010, 208 pp., en librairie le 15 octobre.

    Alain Bagnoud, 51 ans, né à Chermignon, vit à Genève, où il enseigne le français. A collaboré en tant que chroniqueur et éditorialiste au «Journal de Genève », au «Nouveau Quotidien» et au «Journal de Sierre». Parmi ses publications: «L'oeil du crapaud» (roman, 1991), «Saint Farinet» (essai, 2005), et trois volumes d'autofiction: «La leçon de choses en un jour» (2006), «Le jour du dragon» (2008) et «Le blues des vocations éphémères» (2010).

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    Alain Bagnoud chante le blues

    Par Pierre Béguin (Blogres, la Tribune de Genève 24.10.2010, )

    En l’occurrence Le Blues des vocations éphémères. Ces vocations artistiques qui, dans ce troisième volet d’une trilogie commencée dans l’enfance avec Le Leçon de choses en un jour, et poursuivie dans l’adolescence avec Le Jour du dragon, agitent des protagonistes qui ont maintenant vingt ans, tiraillés entre musique, peinture et écriture, Car nous les retrouvons avec plaisir, ces personnages devenus familiers. Dogane, le fils d’immigrant, le révolté aux allures romantiques avec ses yeux flamboyants, sa chevelure bouclée et sa grande cape noire, et qui va faire son coming out. Léonard l’égocentrique, le d’Artagnan de la conquête féminine qui collectionne les échecs avec la suffisance aveugle de sa candide vanité. Et notre narrateur complice, plus torturé, introverti, dont la timidité exacerbe l’orgueil, souvent en décalage ou en retard d’une guerre. D’autant plus qu’il se retrouve, dans la pure tradition du roman d’apprentissage, figure de l’exil comme le cygne de Baudelaire, précipité de son Valais natal dans la grande ville universitaire au début des années 80, en ces temps de folie, de liberté, d’insouciance qui précédèrent le sida, les yuppies et l’argent facile, et dont la démesure prête parfois à la caricature. Une période bénie que l’auteur ressuscite avec talent et sagacité.

    Car Alain Bagnoud possède cette capacité à créer un décor, une ambiance, une atmosphère, à déterrer les trésors de la mémoire, avec une grande finesse d’analyse saupoudrée d’autodérision et d’humour tendre. Son enfance fut aussi valaisanne et catholique que la mienne fut genevoise et protestante. Et pourtant, dans le premier volet de ces autofictions (La Leçon de choses en un jour) elles n’en demeurèrent pas moins étrangement semblables à la confrontation des souvenirs. J’ai ressenti une impression similaire à la lecture de ce troisième volet. Le jargon estudiantin, les postures du pseudo «lettreux», sa suffisance qui cache ses ignorances et son manque d’assurance, son idolâtrie de quelques gourous verbeux à la mode. Et bien d’autres travers, caractéristiques et anecdotes que j’ai connus, qui m’avaient alors souvent amusé, parfois irrité, et que l’auteur sait admirablement faire revivre pour notre plus grand plaisir. Car ce blues là, dans sa ligne mélodique, chante le bonheur, l’insouciance et la nostalgie heureuse. Même si, en profondeur, il contient des accents plus graves et récurrents comme un refrain douloureux, une thématique déjà abordée dans les deux livres précédents et qui sert de fil conducteur à cette trilogie: la lente et difficile maturation vers l’écriture. Pourquoi et comment devient-on écrivain? La réponse n’est pas dans le vent mais peut-être bien quelque part dans ce roman, entre l’Université de Genève et le Valais d’Aulagne.

    Alain Bagnoud : Le Blues des vocations éphémères, Editions de l’Aire

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    Alain Bagnoud, le cul entre deux chaises

    par Eric Felley  (Valais-Mag) mardi 2 novembre 2010

     
    « Le Blues des vocations éphémères ». Alain Bagnoud. 204 p. Editions de l’Aire. Vevey. 2010

    Avec son nouveau récit autobiographie, l’écrivain Alain Bagnoud nous ramène au début des années 80, lors de ces débuts à l’université de Genève. Dans « Le blues des vocations éphémères », il raconte cette période troublée où les certitudes s’effondrent et se construisent.

    Dans un huitième livre paru aux Editions de l’Aire, l’écrivain Alain Bagnoud nous fait revivre une période de sa vie qui remonte aux années 80. Autobiographique, dans le fil des deux livres précédents, « Le blues des vocations éphémères » fait référence à un vieux thème de 1928 - « The blues of passing vocations » - standard joué par l’écrivain-guitariste à cette époque. Un titre qui couvre parfaitement le contenu de cette tranche de vie, où l’auteur se cherche entre la musique, la peinture et enfin l’écriture.

    Alain Bagnoud, née à Chermignon en 1959, fils de paysan, démontre sa volonté claire d’alors de devenir un artiste, un créateur. Cette position est forcément inconfortable pour le jeune Valaisan parachuté à Genève au milieu d’une population estudiantine plus riche et plus urbaine, alors que sa terre natale s’accroche encore à ses bottes. Il se heurte à l’indifférence et à la froideur de ce milieu, à l’inverse de son coin de Valais où il a gardé ses attaches, une petite amie baba-cool et des copains d’orchestre de bal. Il en résulte une peinture assez précise, presque universelle de ce petit milieu saisi dans un vernissage ou un bal de village. Alain Bagnoud s’attarde aussi, un peu trop peut-être, à régler d’anciens comptes avec les milieux de la fumette et de la défonce de l’époque, hippies fatigués arrivés trop tard sur le marché du rêve.

    Il découvre aussi que son meilleur ami est homosexuel : « Je sors du lit d’un mec » lui dit-il un jour, et cette phrase n’en finit pas de tourner dans sa tête. D’autres aussi ont fréquenté les cercles littéraires et masculins autour d’un professeur surnommé Décaméron. Ce qui semble être une constante autour des collèges valaisans. La découverte de l’homosexualité de son ami symbolise l’effondrement d’un monde et une remise en question profonde, qui s’étend aussi à son avenir de peintre ou de musicien.

    Dans cette période, Alain Bagnoud a littéralement le cul entre deux chaises. A Chermignon, il passe pour un intellectuel qui voudrait snober son monde et ses amis d’enfance. Et à Genève, il n’est rien qu’un étudiant valaisan un peu perdu et maladroit qui revendique une autre culture. Certains Valaisans de cette génération se retrouveront dans son personnage balloté entre la ville, le train et le retour au village, sur un fond de camaraderie estudiantine, de velléités sentimentales et de solitude.

    Il y a dans ces pages la franchise d’un récit de vie et ses vertus thérapeutiques. Alain Bagnoud se met à nu, sans complaisance, dans des petites choses, des petites réflexions qui peuvent nous paraître anecdotiques ou parfois un peu sentencieuses. Trente ans plus tard, des vocations éphémères, il reste l’écriture et une forme d’éducation sentimentale qui plonge le lecteur dans la rêverie de ses propres souvenirs, finalement pas si lointains.

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    Il est des blues heureux

    par Serge Bimpage (La Vie Protestante, décembre 2010)

    Dès l’instant où son ami Dogane - celui qu’il admire entre tous - lui avoue « Je sors du lit d’un mec ! », sa vie bascule du tout au tout. C’est-à-dire sa conception du monde. Enfin, sa manière de le regarder. Désormais de biais, avec un peu de méfiance. C’est-à-dire en se méfiant de sa propre façon de le regarder. Bref, le héros du Blues des vocations éphémères découvre la complexité des choses. Celle-ci heurte de plein fouet son éducation de fils de paysan de montagne valaisan descendu à la ville pour entreprendre des études.
    Le choc est plus rude que le sol de ses origines. Il conduit à une révolte à laquelle il ne tient pas vraiment, attaché qu’il est aux siens, à sa terre, à l’authenticité de ses repères. En même temps, comment résister aux sirènes de la ville, à l’enivrement de la rhétorique universitaire ? A la nouveauté désarçonnante des années septante et son lot d’expériences sexuelles, psychédéliques, intellectuelles et artistiques ?
    C’est sans doute afin de trouver un compromis que le narrateur décide de devenir artiste. En quoi, il ne sait trop. Les autres lui donnent des complexes. Voilà pourquoi il s’accroche au groupe de musiciens de bal de son village, The Dragon, qui lui permet d’entretenir l’illusion du succès.
    Tout le sel de ce troisième et dernier tome de la trilogie autobiographique d’Alain Bagnoud réside dans ces allers-retours entre la ville universitaire et son village natal. Ils constituent la métaphore du doute, douloureux mais sans lequel il n’est point d’intelligence. En malicieux démiurge, il convoque ses personnages complices de cette époque des années soixante-dix pour les laisser se risquer vers leurs certitudes. Le héros timide se borne à prendre des notes en attendant son heure. Et voilà comment le héros devient l’heureux chroniquer de son destin : l’ouvrage se lit d’un trait.

    Serge Bimpage

    Le blues des vocations éphémères, par Alain Bagnoud. Editions de L’Aire, 204 pages.
     
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    Le swing d'Alain Bagnoud

    Par Jean-Michel Olivier (Ecrivain de la comédie romande, 10.11.2010)

    C'est au sud de la Crète, dans le petit village de Paleochora, pendant les vacances scolaires, que j'ai lu le dernier roman d'Alain Bagnoud, Le Blues des vocations éphémères*. Peu de montagnes, autour de moi, pas d'université non plus. Beaucoup de vignes, par contre. Et le murmure de la mer, toujours recommencée…

    Je recommande la lecture de Bagnoud au bord de la mer, surtout en automne, saison des feuilles mortes et des blues lancinants. C'est avec plaisir qu'on retrouve le narrateur, double à peine masqué de l'auteur, dans ses vagabondages et ses errances entre la grande ville et son petit village valaisan. Avec plaisir aussi qu'on retrouve ses grands amis Dogane et Léonard, ainsi que ses conquêtes féminines. Bien qu'il puisse être lu indépendamment des deux premiers volumes (La Leçon de choses en un jour et Le Jour du dragon**), Le Blues des vocations éphémères s'inscrit dans une quête littéraire ambitieuse, qui frappe par sa justesse et son intégrité. En racontant ses premiers mois d'étudiant à l'Université, de Genève sa fascination pour la grande ville, les esprits cultivés, le nouveau milieu bohème qu'il fréquente, Bagnoud ne triche pas. Il essaie de coller au plus près de son expérience passée en revisitant cette jeunesse hantée de fantômes inquiétants et familiers. En passant, il nous brosse une galerie assez épatante de portraits de professeurs engoncés dans leur savoir ou, au contraire, faisant copain-copain avec leurs étudiants. C'est peu dire que le narrateur cherche sa voie dans les allées des Bastions. Il veut devenir écrivain. Ou peintre. Ou musicien. Attiré par ces trois formes d'art, il constate, hélas, qu'il n'est pas élu. « Ma vie informe de garçon normal, en rien prodige, n'est pas entraînée vers une destinée inévitable par une flèche droite (…) Elle va mollement, ballottant dans un sens ou dans l'autre, semblant pouvoir être détournée par n'importe quel événement. » Les textes qu'il écrit ne ressemblent pas à ceux qui sont encensés à l'Université. La musique qu'il aime (le folk, le blues) n'est pas celle qu'il joue dans les bals populaires avec son groupe. Et Dogane, en matière de peinture, semble beaucoup plus doué que lui…

    Dogane, parlons-en. Ce beau garçon aux boucles noires lui avoue un jour qu'il « sort du lit d'un homme. » Le narrateur est moins choqué par cette nouvelle (qui l'ébranle tout de même) que par sson propre aveuglement. Comment n'a-t-il pas compris plus tôt la nature secrète de son ami, pourtant intime ? Cette révélation, qui touche au cœur de l'amitié, va en entraîner d'autres, tout au long d'un roman qui se lit d'une traite. Les atermoiements du narrateur, souvent décrits avec humour, voire ironie, se poursuivent lorsqu'il revient chez lui, dans son village natal. Mais ce chez-soi lui paraît à présent étranger. Il peine à retrouver sa place dans ce monde familial et familier. Certes, il retrouve le langage direct de ses amis, mais ce langage semble parasité par ce qu'il a appris en ville. Quelle langue est donc la sienne ? L'ancienne langue « naturelle » du village ? Ou la nouvelle langue des études ? Là aussi, le narrateur chante le blues. Mais ce n'est pas un blues triste. C'est le blues des vocations fragiles. Du déracinement et de la trahison (le narrateur apprend, comme Annie Ernaux, que pour devenir soi-même, en particulier par ses études, il faut nécessairement trahir les siens). Le blues de la vie qui vous entraîne dans son torrent…

    On sent ce balancement, ce swing, d'un bout à l'autre du livre. Déchiré, tiraillé, écartelé entre ville et village, chanson et peinture, langue naturelle et langage lettré, comme il est déchiré entre Ilya et Bérengère, le narrateur cherche sa voie en grattant sa guitare, comme il cherche ses mots en écoutant les mots des autres. Scandé en sept couplets, le roman de Bagnoud explore avec justesse cette faille intime que beaucoup d'étudiants ont vécue. C'est vif, bien écrit, entraînant. Il faut le lire avant la fin de l'automne !

    * Alain Bagnoud, Le Blues des vocations éphémères, roman, L'Aire, 2010.

    ** Alain Bagnoud, La Leçon de choses en un jour et Le Jour du Dragon, L'Aire.

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    AUTOFICTION- « LE BLUES DES VOCATIONS ÉPHÉMÈRES » D’ALAIN BAGNOUD

    L’âge des rêves et des doutes

    Par Marc-Olivier PARLATANO, Le Courrier, 4 décembre 2010

    A l’université de Genève, au début des années 1980, un jeune homme cherche sa voie. c’est le propos du Blues des vocations éphémères de l’écrivain valaisan Alain Bagnoud. Ce livre constitue la troisième étape d’une série d’autofiction dont les deux premiers volets s’intitulent La Leçon de choses et Le Jour du dragon. Le lecteur romand y explorera notamment les Bastions, autour de la faculté des lettres de l’Unige et de la défunte Brasserie Landolt – fréquenté en son temps par Lénine, ce lieu mythique compte au nombre de ceux, comme dit la chanson, que les moins de 20 ansn ne peuvent pas connaître – et ce, dans les années 1980. Quoique l’ouvrage n’ait, de loin, pas que Genève pour cadre.

    Tiraillé par les rêves et les espoirs, le protagoniste passe des salles universitaires à un bal de campagne ou un vernissage. Il a 20 ans – or, tout lecteur sait depuis Paul Nizan que ce n’est pas le plus bel âge de la vie – et il imagine devenir un artiste. Mais il ne sait que choisir: la musique, la peinture, l’écriture? La vie du jeune homme oscille ainsi entre sa commune natale, en Valais, et Genève. Au vil des semaines, il vit plus d’une aventure amoureuse. En outre, des découvertes autour de la sexualité l’attendent, tandis qu’il s’interroge: « Comment prendre la bonne direction sans me tromper? N’ a-t-il pas des signes, dans ce qui m’arrive, que je pourrais interpréter? »

    Entre anecdotes, scènes du quotidien, échanges, émotions, Le Blues des vocations éphémères dépeint les hauts et les bas d’un personnage central qui, loin d’avoir été vêtu du costume d’un héros, se révèle au contraire très humain, traversé par des doutes et des contradictions qui n’épargnent pratiquement personne, où chacun peut donc se reconnaître.

    MOP

    ALAIN BAGNOUD, LE BLUES DES VOCATIONS ÉPHÉMÈRES, L’Aire, 2010, 206 PP.

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    Ô terrible jeunesse!

    par antonin moeri (Blogres, le 23.11.2010)

     

    À part ceux de Billie Holliday et de Robert Johnson, je connais très peu le blues. Et puis, les groupes d’amis dans lesquels on se fond, et dont on pourrait avoir la nostalgie quelques années plus tard, je n’en ai jamais connu. J’étais donc mal barré pour apprécier pleinement le dernier roman d’Alain Bagnoud. Il y rappelle les années 80, celles où le héros quitte son village valaisan natal, entre à l’université et découvre la ville, ses bars, ses filles, ses rumeurs, ses lumières, ses odeurs et ses drames. Ce héros est partagé entre un monde rural dont les valeurs le hérissent, mais où une certaine authenticité le séduit et un monde urbain où les perspectives s’élargissent, où une autre langue peut se construire, où le clavier peut s’étendre. Genève n’est pas Paris ni Londres ni New York mais des silhouettes étranges s’y croisent dans certaines pénombres, les richetons y affichent leurs insolentes certitudes, Rastignac peut y nourrir de vraies ambitions.

    Ce qu’il y a de plus étonnant dans ce livre, ce sont les mille et une observations, notations, descriptions de lieux et de personnages. En quoi Bagnoud affirme et développe son talent de romancier. Mais ce qui touche un lecteur de ma sorte, c’est la musique presque lancinante, une forme de nostalgie que le blues doit certainement exprimer, en tout cas celui qui m’est familier, celui de Billie Holliday et, surtout, celui de Robert Johnson qui murmure l’épopée d’un malandrin courant éperdument vers la femme adorée. Et le malandrin de tomber sur les genoux, au comble de l’épuisement, dans un carrefour. Et c’est à genoux, au milieu de ce carrefour, que le malandrin module son chant qui n’a rien de triste mais vous saisit à la base même du tronc.

    Une des trames du livre mène le lecteur dans ce qu’on pourrait appeler une enquête. Stupéfait par la révélation d’un de ses meilleurs amis, dont il admire les dessins et les peintures et qui représente pour lui un modèle dans le domaine de l’art, le narrateur sombre dans ce genre particulier d’abattement que le réel peut nous réserver. «J’ai couché avec un mec», lui a dit cet ami admiré qui, depuis «toujours», aimait les garçons. Le trouble que chacun peut ressentir devant une sexualité autre fait chez le narrateur tomber les barrières de protection que ses représentations avaient, jusque là, maintenues droites.

    Ce que Bagnoud a ressenti dans ces années où tous les possibles semblaient sourire, c’est sans doute ce qu’il a voulu recréer dans un climat d’écriture qu’on n’oublie pas, auquel on voudra revenir et qui fait, dans la lumière des sunlights, résonner les torsions de cordes et les glissandos discordants d’une jeunesse que l’artiste sait préserver. Rimbaud, une fois de plus, avait raison: «On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans».

     

    Alain BAGNOUD: Le blues des vocations éphémères.

    Editions de L’Aire, 2010


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    D'Ollon à Genève

    Par Isabelle Bagnoud (Journal de Sierre, 10.12.2010)

    Enseignant à Genève et originaire d’Ollon, Alain Bagnoud vient de publier le dernier tome de son triptyque autobiographique, «Le Blues des vocations éphémères» aux Editions de l'Aire.

    Pour être plus précis, il s'agit plutôt d'une autofiction. Un roman inspiré, comme les deux précédents, par sa vie, mais retravaillé de manière à tout condenser en une seule journée.

    Le narrateur avait 7 ans dans le premier tome, on y découvrait un village et ses figures; dans le second, il a 14 ans et vit la Saint- Georges, ses premiers émois amoureux et l'entrée dans la fanfare.

    Dans ce dernier roman, l'écrivain a 21 ans. Le jeune homme s'est expatrié pour suivre des études universitaires à Genève (on reconnaît Genève même si elle ne s'appelle pas ainsi dans le roman). Comme beaucoup de Valaisans, il y découvre la grande ville, cache son accent – Alain Bagnoud l'a d'ailleurs totalement perdu – se frotte à la froideur protestante... Le narrateur aura surtout à coeur d'apprendre de nouveaux langages qui lui permettront «d'en être».

    Durant cette journée, le personnage se retrouve sur les bancs universitaires, avec ses deux amis valaisans puis quitte Genève pour son village natal où il doit, le soir, animer un bal. Avec le retour au village c'est aussi le retour du fils prodigue, forcément transformé et le goût amer d'avoir trahi ses parents en changeant de statut social…

    Alain Bagnoud a confié, l'autre jour, à Espace 2, qu'il a mis beaucoup de temps à réaliser que ce qu'il avait vécu valait la peine d'être raconté. Et il le raconte très bien, impossible de ne pas s'y reconnaître, alors pourquoi pas la trilogie sous le sapin?

     

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    Alain Bagnoud, Le blues des vocations éphémères

    Par Elisabeth Vust (Culturactif)

     

    Si ce récit clôt une trilogie, il peut tout à fait se lire de manière indépendante. Trilogie d'autofiction qui revient sur des commencements: entrée dans l'âge de raison dans La leçon de choses en un jour (2006), qui montrait par ailleurs un Valais encore très marqué par les traditions ancestrales; premières fois multiples dans Le jour du dragon (2008), où un adolescent intègre la fanfare du village, est initié à l'amour et au cannabis, et se découvre une âme d'artiste.
    Le narrateur (et double romanesque de l'écrivain) avait 7 ans dans la première partie, 14 ans dans la seconde. Il a 21 ans dans Le blues des vocations éphémères , qui se passe également sur une seule journée, rendue si particulière et emblématique par un travail de condensation de la mémoire et de concentration narrative. Autobiographie et littérature font ainsi bon ménage dans ce triptyque, alliant constance (unité de temps, narration au « je ») et évolution, du héros bien sûr, mais aussi du style. Suggestive et elliptique dans les remémorations de l'enfance, l'écriture devient plus explicite dans ce nouveau récit, trop parfois, comme pour souligner l'état d'esprit du héros, qui a la prétention, le côté poseur propre à son âge. Et en reflet de cette période de la vie où les rêves sont mis à la rude épreuve de la réalité, le ton se fait introspectif.

    Venu à Genève pour étudier, le héros du Blues des vocations éphémères ne reçoit pas un accueil à la hauteur de ses espoirs, lui qui se voyait en Rastignac arrivant à Paris. La froideur troublante du climat protestant et l'indifférence des gens à sa présence le renvoie à ses attentes et à ses origines valaisannes. La langue est le lieu d'un fossé culturel et préside conjointement à sa mue: il change sa façon de parler, abandonne l'égrenage de la « liste campagnarde des merci, à demain, bonne journée, bon week-end, bon retour, bonne nuit », accélère son tempo, et s'improvise « aventurier et espion » recueillant des informations sur les autochtones et leur ville.
    Les illusions volent en morceaux, de tous les côtés: dans les auditoires de l'Université et les cafés, sur les fronts du savoir et des relations. Sur les trottoirs également, puisque son ami d'enfance Dogane lui annonce en pleine rue de Genève, et en pleine figure, qu'il « sort du lit d'un mec ». Panique du narrateur, « les meubles valsent, les pots de fleurs s'écroulent ». Cette révélation sexuelle fait vaciller les certitudes de fraternité, d'identité. Choc du réel, cruel mais salutaire pour le jeune homme issu d'un Valais où l'on ne parle pas d'homosexualité.
    Les soixante-huitards ont beau avoir plébiscité coming out et autres dévoilements, la jeunesse des années 80, même urbaine, est dépeinte ici comme frileuse, ne sachant pas trop quoi faire de l'héritage du passé à part fumer des joints.

    L'amitié, l'amour sont, ou plutôt deviennent problématiques à plusieurs titres pour le narrateur, avec notamment la question de savoir s'il est possible d'établir un lien authentique sans partager valeurs et expériences du passé. En s'exilant, le Valaisan est pour ainsi dire devenu apatride. Il ne se sent pas (encore) chez lui à Genève, il ne l'est plus dans son village natal, où il retourne cela dit, pour gratter de la guitare dans des bals, retrouver sa soi-disant amoureuse, la maison familiale et cette cuisine « où les idées passent moins bien que n'importe où ailleurs ». Face à cette difficulté de communiquer avec les siens, on pense à un autre écrivain valaisan, Jérôme Meizoz, et à ses récits intimes, de Morts ou vif (1999) au tout récent Fantômes (2010), hommage bouleversant et pudique aux disparus, aux présences invisibles en nous. On y lit: « la famille se fait pesanteur quand elle rappelle ses attentes et ses lois, jusque-là demeurées silencieuses, enfouies dans l'affection ».
    Jérôme Meizoz et Alain Bagnoud (entre autres écrivains « expatriés ») parlent de ces sentiments de fierté et de trahison partagés par celui qui part étudier et ses parents qui restent. Fierté de pouvoir accéder à ce qui a été inaccessible pour les générations d'avant; trahison du milieu social.
    Au final, entre désir d'émancipation et désir d'appartenance, Le blues des vocations éphémères trace un chemin le long duquel les illusions aboutissent tout de même à une vocation: l'écriture. Chemin de vie, revécu, retrouvé, réinventé dans un roman de formation, de questionnements et d'immersion sociologique, émotive, culturelle, musicale dans une Suisse romande des années 80 contrastée.

    Elisabeth Vust

     

      En bref

     

    In breve in italiano

    Alain Bagnoud, di origine vallesana, conclude con Le blues des vocations éphémères una trilogia delle origini sotto forma di autofinzione. Dopo La leçon de choses en un jour (2006) incentrato sull'infanzia e la scoperta dell'età della ragione, Le jour du dragon (2008) esplora le molteplici iniziazioni di un adolescente di 14 anni. Con il terzo volume lo scrittore prosegue con il racconto di una giornata particolare nella vita del suo alter ego di 21 anni. Il ragazzo si è trasferito dal villaggio natale in Vallese per studiare a Ginevra. I suoi sogni, messi a confronto con la realtà, sono messi a dura prova: ad esempio quando ritrova un vecchio amico d'infanzia che gli rivela d'essere omosessuale; oppure quando si rende conto di non sentirsi più né vallesano né parte della città d'adozione.
    Dai banchi d'università il mattino al ballo di paese la sera, il racconto immerge il lettore negli anni ottanta e nella mente di un giovane in balìa dei propri desideri che a volte oscillano tra emancipazione e appartenenza. E fra tutte le illusioni perdute si fa strada una vocazione: la scrittura.

    ***

    Kurz und deutsch

    Mit Le blues des vocations éphémères schliesst der ursprünglich aus dem Wallis stammende Alain Bagnoud eine Faction-Trilogie, in welcher er Anfänge thematisiert. In La leçon des choses en un jour (2006) ging es um den Eingang in das Alter der Vernunft, während in Le jour du dragon (2008) um die verschiedenen Initiationen eines 14. jährigen Jugendlichen und jetzt geht es um einen besonderen Tag im Leben seines 21.-jährigen Alter-Ego. Dieser hat sein Walliser Geburtsdorf verlassen, um in Genf zu studieren: seine Träume und Gewissheiten werden dabei allerdings durch die Realität stark auf die Probe gesetzt, dann, zum Beispiel, wenn sein Kindheitsfreund ihm seine Homosexualität verrät. Ausserdem fühlt sich der Erzähler nicht mehr seinem Geburtsort zugehörig, seiner neuen Wahlheimat Genf aber auch noch nicht.
    Die Erzählung führt uns in die 80er-Jahre, am Morgen in die Hörsäle, abends auf ein Dorffest ins Wallis und vor allem führt sie uns in den Kopf eines jungen Mannes, der von widersprüchlichen Wünschen von Emanzipation und Zugehörigkeit bewohnt is.
    Und inmitten all der verlorenen Illusionen, macht sich eine neue Berufung breit: das Schreiben.

     

    Page créée le: 20.12.10

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    Vitelloni à la valaisanne

    Par Jean-Louis Kuffer, Passion de lire, 24 heures

    On se rappelle en souriant les dadais provinciaux de Fellini, dans Les Vitelloni, en suivant les pérégrinations du double romanesque d'Alain Bagnoud, fils de vigneron du Valais qui débarque à Genève pour y faire ses études de lettres non sans hésiter entre les carrières de chanteur de rock, de peintre ou d'écrivain. Le titre de ce troisième volet d'un triptyque autiobiograpique (après La Leçon de choses en un jour et Le jour du dragon) est emprunté à un standard de Marclette Honoré, The Blues of passing vocations, sur lequel ont rêvé le protagoniste et ses compères Dogane (le fils d'immigrés italien dandy dont les errances sexuelles inquiètent un peu son ami), Léonard (le chanteur et guitariste du groupe The Dragon), entre autres figures de cette semi-bohème juvénile détonant plus ou moins dans la communauté encore soudée du lieu, où les émules de Dylan & Co se contentent pour le moment de faire les bals locaux...
    Après un début qui rend bien le malaise du jeune plouc débarquant dans la grande ville froide où il a le sentiment d'être snobé par tout le monde, l'auteur égratigne les poses artificielles des étudiants se piquant de modernité jargonnant à qui mieux mieux, dans une veine qui se veut satirique mais qui lui convient peu, par trop lourdingue. Bien meilleur dans l'évocation des atmosphères et des personnages de son environnement naturel, et surtout après son retour au pays, Alain Bagnoud excelle à saisir la gêne liée au choc des mentalités, entre parents paysans et jeunes gens en train de s'américaniser, Valais traditionnel et nouvelle culture émancipée. Au fil de dialogues aussi elliptiques que significatifs, avec pudeur et tendresse, l'écrivain restitue bien ce moment des grandes espérances universalistes des années 70 en butte à la réalité rabat-joie de la Suisse profonde.

    Alain Bagnoud. Le Blues des vocations éphémères. L'Aire,206p. °°

     

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    Le goût des lettres No. 228 : Bagnoud’s blues

    mercredi 1er décembre 2010
    par Serge BIMPAGE , Scènes Magazine

     

    Dès l’instant où son ami Dogane - celui qu’il admire entre tous - lui avoue « Je sors du lit d’un mec ! », sa vie bascule du tout au tout. C’est-à-dire sa conception du monde. Enfin, sa manière de le regarder. Désormais de biais, avec un peu de méfiance. C’est-à-dire en se méfiant de sa propre façon de le regarder.

    Bref, le héros du Blues des vocations éphémères découvre la complexité des choses. Celle-ci heurte de plein fouet son éducation de fils de paysan de montagne valaisan descendu à la ville pour entreprendre des études.

    Le choc est plus rude que le sol de ses origines. Il conduit à une révolte à laquelle il ne tient pas vraiment, attaché qu’il est aux siens, à sa terre, à l’authenticité de ses repères. En même temps, comment résister aux sirènes de la ville, à l’enivrement de la rhétorique universitaire ? A la nouveauté désarçonnante des années septante et son lot d’expériences sexuelles, psychédéliques, intellectuelles et artistiques ?

    C’est sans doute afin de trouver un compromis que le narrateur décide de devenir artiste. En quoi, il ne sait trop. Les autres lui donnent des complexes. Voilà pourquoi il s’accroche au groupe de musiciens de bal de son village, The Dragon, qui lui permet d’entretenir l’illusion du succès.

    Tout le sel de ce troisième et dernier tome de la trilogie autobiographique d’Alain Bagnoud réside dans ces allers-retours entre la ville universitaire et son village natal. Ils constituent la métaphore du doute, douloureux mais sans lequel il n’est point d’intelligence. En malicieux démiurge, il convoque ses personnages complices de cette époque des années soixante-dix pour les laisser se risquer vers leurs certitudes. Le héros timide se borne à prendre des notes en attendant son heure. Et voilà comment le héros devient l’heureux chroniquer de son destin : l’ouvrage se lit d’un trait.

    Serge Bimpage

    « Le blues des vocations éphémères », par Alain Bagnoud. Editions de L’Aire, 204 pages.

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    Le Valais selon Alain Bagnoud, épisode 2, par Serge Bimpage (La vie protestante)

    Refermé Le Jour du dragon de Alain Bagnoud, on retourne à la 4e de couverture et on mire sa photo en médaillon. Histoire de prolonger ce moment exceptionnel passé avec lui en Valais à revivre les années soixante-dix  de son adolescence. Ses petits yeux plissés en permanence vous scannent les humains comme les événements avec une acuité de lynx…
    La chronique fait suite au remarqué La Leçon de choses en un jour, qui campait la famille valaisanne et son destin entre plaine et montagne, passé et futur, clans et rivalités bonhommes et enthousiastes. Ici, le progrès évoluant dans un sens aussi exalté que tendu, comme a pu le décrire un Maurice Chappaz, l’adolescent ouvre les yeux sur une réalité plus prosaïque.
    L’idéologie fait irruption dans l’univers du narrateur, en même temps que l’amour. Pas facile à gérer, difficile de se situer entre l’atavisme identitaire et l’attrait des promesses de la ville. Et, métaphore magnifique de ces pages ciselées et tellement bien senties : la fanfare, qui demeure le lieu de toutes les rencontres, la mise en abyme de toutes les tensions.
    Emouvante, cette évocation impressionniste contient en même temps sa part d’histoire et d’anthropologie. Beaucoup de qualités pour ce Jour du dragon qui marquera sans conteste la littérature suisse romande du genre. Celle, ramuzienne en particulier, de parvenir, partant du terroir, à toucher à l’universel.

    Serge Bimpage

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    Le monde d'Alain Bagnoud, par Jean-Michel Olivier (Scènes Magazine et http://jmolivier.blog.tdg.ch/)

     

    On dit souvent, à tort, que la littérature romande manque d'ambition. Le jour du Dragon*, le dernier livre d'Alain Bagnoud, nous démontre le contraire. Comme certains sages chinois sont capables, paraît-il, de voir le monde entier dans une goutte d'eau, Bagnoud raconte, dans le courant d'une seule journée, une vie entière. Pas n'importe quelle journée et pas n'importe quelle vie. Tout se passe le 23 avril, dans un petit village du Valais, le jour de la Saint-Georges., patron de la commune. Et ce jour fatidique, où Saint Georges terrassa le Dragon, est celui de toutes les expériences, les découvertes, les émotions, les transgressions. Nous sommes dans les années 70, années de liberté et de musique, un vent nouveau souffle même dans les villages les plus reculés. Car personne, ici bas, n'est à l'abri de l'Histoire. Enrôlé comme tambour dans l'une des deux fanfares du villages, le narrateur va vivre cette journée comme un parcours initiatique. C'est d'abord le sentiment — douloureux, puis exaltant — d'échapper aux griffes de sa famille, à l'ordre patriarcal qui empoisonne, depuis toujours, les relations. Bientôt le narrateur tiendra tête à son père, pourra se libérer de toutes les contraintes qui l'empêchent d'être lui, c'est-à-dire d'être libre. Comment briser les chaînes de l'enfermement familial? Grâce aux copains, à la musique, aux filles, à la Poésie. C'est la première leçon de ce jour décisif. Mais tout ne se passe pas si facilement, ni tout de suite. Grâce au talent d'Alain Bagnoud, nous pénétrons peu à peu, mot à mot, dans les couches les plus profondes de la conscience d'un personnage, superposées commes celles d'un mille-feuilles. La famille, donc, déjà omniprésente dans La Leçon de choses en un jour**, premier volet de cette autobiographie rêvée. Mais aussi la religion puisque le narrateur assiste, comme tous les villageois, à la messe célébrant Saint Georges. Rituel immuable, à la fois solennel et ennuyeux. Là encore, l'adolescent qui assiste à la messe ne se sent pas à sa place. Ce décorum ne le concerne pas ; au contraire, il l'aliène. Il ne se sent à l'aise qu'avec les copains qui l'entraînent sur des chemins de traverse. Car au centre du livre, extrêmement bien décortiqué, il y a le malaise d'« une existence médiocre, insuffisante. Un cerveau parasité de discours encombrants (…) Un magma instable qui aspire à se définir, qui cherche à se coaguler, mais infructueusement. » Jusqu'à ce jour, le narrateur n'a pas de visage, il n'est ni beau ni laid, il manque de présence au monde physique. C'est cette journée particulière, le Jour du Dragon, qui va lui permettre d'accéder à lui-même et au monde, jusqu'ici refusés. Dans le monde villageois pétri de traditions, de conventions et de clichés, il faut éviter comme la peste tout ce qui est singulier. Car le singulier doit toujours se fondre dans le collectif, le général, la famille ou le groupe.images-1.jpeg Ce trouble indistinct, Bagnoud le creuse parfois qu'au malaise. Et l'on sent une vraie douleur affleurer sous les mots qui se cherchent, refusant les clichés et le patois identitaire. Le rite de passage se poursuit : le narrateur goûte aux délice du fendant comme à ceux du premier joint. Ces paradis artificiels ne durent jamais longtemps. Qui peut comprendre ses vertiges, ses exaltations, ses ivresses poétiques et morales? Pas la famille en tout cas, ni les copains. Les filles alors? Le narrateur va connaître sa plus grande émotion à l'église, où il embrasse pour la première fois Colinette : transgression jouissive, et sans grand risque, puisque l'église, à cet instant, est déserte. Mais le narrateur a franchi le pas. Ce baiser initiatique l'a fait entrer dans un autre monde, merveilleux et bouleversant. Le livre se termine en musique. Ayant quitté l'uniforme de la fanfare, le narrateur retrouve ses copains dans une cave enfumée, s'essaie à jouer divers instruments, décide de fonder un groupe rock : The Dragon!, of course ! Abandonne l'abbé Bovet pour Chuck Berry et Jerry Lee Lewis. Mais l'initiation au monde, la découverte de soi par les autres n'est pas finie: grâce à son ami Dogane, le narrateur va visiter l'atelier d'un peintre marginal, Sinerrois, qui va lui ouvrir les portes de l'expression artistique en lui montrant qu'en peinture, comme en poésie, la liberté est souveraine, source de découvertes et de joies. Nouvelle leçon de vie en ce jour fatidique! La liberté de peindre et de créer se paie souvent par la solitude, le silence, le rejet social.  L'épilogue du livre met en scène, dans un garage, l'une de ces fameuses boums qui ont fait chavirer nos cœurs d'adolescents. À cette époque, le seul souci (vital) était d'inviter la plus belle fille de la classe pour danser le slow le plus long (en général Hey Jude !). C'est l'expérience ultime que fait le narrateur au terme de cette journée proprement homérique, au sens joycien du terme, puisque toute une vie est concentrée en moins de vingt-quatre heures chrono. Ce qui est un fameux tour de force. Alain Bagnoud y scrute, au scalpel, les méandres d'une conscience malheureuse, qui cherche son salut dans la musique, l'amour, la lecture, la poésie. Et qui découvre, au terme d'un long parcours initiatique, la liberté d'être soi et la présence au monde. * Alain Bagnoud, Le Jour du Dragon, éditions de l'Aire, 2008. ** Alain Bagnoud, La Leçon de choses en un jour, éditions de l'Aire, 2006.

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    D'UN MONDE A L'AUTRE, Par ANNE PITTELOUD, (Le Courrier, 14 février 2009)

    Après La Leçon de choses en un jour, qui racontait l'entrée d'un enfant dans l'âge de raison, le Valaisan Alain Bagnoud se concentre sur les contradictions et les émois de l'adolescence dans son septième roman, Le Jour du dragon. Ici aussi, l'action se déroule sur une journée, initiatique: pendant la Saint-Georges, jour de fête dans ce petit village montagnard, le jeune narrateur va vivre de nouvelles expériences ­ premiers pas dans la fanfare, premier baiser, rencontre avec un peintre citadin, première boum et premier joint ­, autant d'étapes rituelles vers une émancipation désirée. On est au début des années 1970, et aux bouleversements de l'adolescence s'ajoutent ceux de l'époque: tiraillé entre catholicisme et bouddhisme, fendant et haschich, fanfare et rock, conformisme et rébellion, le jeune homme se cherche dans le regard des autres ­ ses deux copains, la famille, la communauté... Un entre-deux inconfortable mais riche d'émotions, décrit avec finesse. Poursuivant son entreprise autobiographique, Alain Bagnoud ressuscite une société paysanne ressentie comme étouffante par le narrateur, en esquissant une foule de thèmes: traditions archaïques ­ ainsi de ces deux clans qui s'opposent par le biais de leurs fanfares ­, émergence des promoteurs et de la spéculation, combines politiques et misogynie, obligations sociales rigides, pouvoir de la religion... Mais c'est l'homme d'aujourd'hui qui raconte: cette distance lui permet de donner vie à ce monde ancien avec tendresse, sans juger, dans des scènes savoureuses; elle favorise aussi l'ironie envers celui qu'il était ­ ce garçon lâche et maladroit fasciné par les nouvelles valeurs mais pétri de tabous, qui change d'avis au gré des opinions des autres, s'en désole, se sent seul et nulle part à sa place... Le Jour du dragon mêle langage parlé des villageois et envolées littéraires du narrateur, rêveur, grand lecteur, qui prendra conscience de sa vocation face aux étoiles: il ressent alors une «exaltation vague et mal définie», un sentiment d'appartenance au-delà des jeux sociaux, et le désir de s'emparer «du souffle du dragon, de sa puissance, de son pouvoir». Car le dragon n'est pas seulement l'animal terrassé par Saint-Georges: il représente «le symbole de la vie intérieure, de la créativité, de la profondeur qui est en nous», explique Sinerrois, le peintre, aux trois amis médusés.

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    Le Valais de coeur d'Alain Bagnoud, Par Jean-Louis Kuffer
    (24 heures du 14 février 2009)

     

    ENTRETIEN L'écrivain quasi quinqua revient avec Le Jour du dragon, très vivante évocation autobiographique de la bascule des «seventies», à Chermignon.
    Alain Bagnoud, issu d'une tribu valaisanne comme les a peintes Maurice Chappaz dans son Portrait des Valaisans, a connu de l'intérieur cette société que le sociologue Uli Windisch étudia, à Chermignon, dans un essai au titre significatif, Lutte de clans, lutte de classes. C'est là que Bagnoud est né, en 1959, et que se déroulait déjà La Leçon de choses en un jour, parue en 2006, épatante chronique d'un adieu à l'enfance. Avec Le Jour du dragon, l'initiation sociale de l'adolescent se prolonge entre fanfare, messe et potes, débats politiques et surboum, premier baiser et premier joint...


    - Qu'est-ce quoi vous a poussé à cette double entreprise autobiographique ?
    - C'est l'âge... La maturité m'a fait m'interroger sur mon passé et a donné un autre sens aux questions qu'on se pose tous, il me semble: Qu'est-ce que je suis? Qu'est-ce qu'il y a en moi de semblable aux autres? De différent? Qu'est-ce qui me relie aux hommes et qu'est-ce qui me sépare d'eux? L'autobiographie, ça permet de chercher assez directement des réponses à ça. De confronter celui qu'on croit avoir été avec les circonstances, de se demander en quoi elles nous ont formés et en quoi on a pu échapper aux déterminismes. De voir ce qui est commun en nous à toutes les périodes. Donc de rechercher qui on est.
    - Est-ce que c'est un moyen d'atteindre une vérité ?
    - De la reconstituer pléutôt. Ou alors de la constituer. On se recrée par la mémoire, on se réécrit un destin ou une existence par la forme qu'on lui donne en l'utilisant comme matériel d'écriture, en la modifiant forcément. On se resaisit de soi-même, c'est comme si on se refaisait, si on s'appropriait. De nouveau. Et puis il y a la question de la vocation.
    - La question de savoir pourquoi l'on devient écrivain?
    - Oui. Cette envie est peut-être assez fréquente, mais enfin, ça me stupéfie toujours que certains y arrivent. Parce que c'est difficile, vous le savez, il y a beaucoup plus d'appelés que d'élus. C'est un appel, mais aussi un travail, et il y a une position à prendre par rapport à soi-même et un rapport avec la langue à trouver. Ce n'est jamais donné. Il y a une maturation à faire. J'aimerais comprendre comment j'ai cherché ma voie dans le langage.
    - En quoi la communauté que vous décrivez a-t-elle changé depuis les années que vous évoquez ?
    - Les différences sont énormes. Moi, je suis né dans un petit village de 170 habitants où tout le monde connaissait les grands-parents, les arrières-grands-parents de chacun. On était tous plus ou moins cousins, au deuxième, troisième degré. Cette homogénéité a disparu. Beaucoup de filles et de fils sont partis, et des inconnus ont acheté des maisons. La communauté est très amincie. Avec cet amincissement, il y a toute une idéologie, des normes, des obligations qui se sont évaporées. Et puis il y a eu une transformation historique. Mes grands-parents étaient nés presque encore au Moyen Age: ils soignaient des terres pour d'autres, avaient peu d'outils, pas d'argent, ne connaissaient rien de l'extérieur...
    - Quelles ont été les difficultés techniques que vous avez rencontrées pour ces deux récits ?
    - La composition d'abord. Il fallait s'arranger pour que ça ne soit pas un simple recueil de souvenirs disparates. C'est pour ça que j'ai donné à chaque livre le cadre d'une journée, en tâchant de donner une direction, de hiérarchiser le texte pour que ça avance dans une direction précise. Et puis, autre difficulté: le langage. La nature même de ce qui était évoqué, ce monde villageois, je ne voulais pas en donner une image savante ou méprisante ou extérieure. Ça m'a incité à simplifier, à adopter un ton neutre, souvent oral, un peu amusé parfois. En tout cas pas savant ou exagérément littéraire.
    - Entendez-vous développer plus avant ce « tableau » de votre pays ?
    - Oui. Le projet initial, c'était un cycle de sept livres qui se passaient tous les sept ans. Bon, ça ne va pas se faire, en tout cas pas sous cette forme. Parce que si les âges de sept, quatorze et vingt-et-un ans tombent bien pour représenter l'enfance, l'adolescence et la jeunesse, ça se gâte après. Pour l'instant, je travaille au troisième volet. Le passage à la grande ville et à l'université. Après, on verra.
    - Comment votre entourage (et le Valais) a-t-il reçu ces deux ouvrages ?
    - Étonnamment bien. J'avais un peu d'appréhension, même si j'avais fait lire les textes à ma famille. Il y a quand même des attaques franches contre un système local pas très transparent et des personnages qui pourraient se reconnaître. Mais les gens ont apprécié. Par nostalgie en partie, peut-être, mais aussi parce que nous partageons le même humour, et qu'il fait passer bien des choses.
    - Quel est, pour vous personnellement, l'héritage de Maurice Chappaz, et quels autres auteurs vous tiennent-ils lieu de « guides » éventuels ?
    - Chappaz, quand j'étais adolescent, c'était le maître, l'exemple à suivre. Cette langue dense, forte, solaire. Cette présence dans le canton. Ce mélange de thèmes locaux et universel. Il montrait qu'on pouvait parler d'un lieu sans verser dans le régionalisme ou la complaisance. Sinon, il y a des écrivains que je relis constamment. Ramuz, Céline, Stendhal. Proust surtout.
    - Qu'avez-vous à cœur de transmettre ?
    - Peut-être qu'il faut refuser de parler les langages convenus qu'on essaie de nous imposer. Tout conspire à nous emprisonner, à nous rapetisser. Langage de la pub, celui des entreprises, celui des idéologies, celui des groupes, des communautés. Il faut voir plus loin, notamment dans les livres. En les fréquentant, il me semble que chacun peut trouver sa propre langue, dans laquelle il peut se réaliser, qui peut lui permettre de dire ce qu'il a de personnel, de singulier. Et je ne parle pas ici seulement pour ceux qui veulent écrire, mais pour tout le monde...

    Un dragon à pattes d'éléphant

    Après la chronique quasiment « exotique » de La Leçon de choses en un jour, évoquant une enfance villageoise de la fin des années 60, Alain Bagnoud aborde, avec Le jour du dragon, correspondant aux festivités initiatiques de la Saint-Georges, une matière personnelle et collective beaucoup plus délicate à traiter : une adolescence en province, d'une musique à l'autre : entre trompette de fanfare et guitare électrique. Dire la mutation de toute une société à travers la mue d'un ado touchant à l'âge d'homme, et le dire en restituant à la fois le langage de la tribu et les nouvelles façon de parler correspondant au vent nouveau soufflant d'Amérique, n'est pas une sinécure pour qui veut échapper à la fois aux clichés et au documentaire sociologique. Le tout est de trouver la bonne distance et le ton juste, à quoi parvient Alain Bagnoud avec une sorte de générosité souriante, mais jamais sucrée, de malice et d'honnêteté, autant que de netteté dans la peinture. Slalomer, en un jour, entre fanfare du clan doré (qui fait la pige aux argentés, ces nuls...) et copains à récentes collections de 33tours, paternel excité par sa première voiture et tonton bâtisseur, pudeurs de puceau et mécaniques roulées à l'instar des plus délurés, fidélité familiale et tentation de rejoindre la boum ou l'atelier de tel artiste bohème : tout cela ne va pas de soi dans un récit suivi. Or Alain Bagnoud, jouant à merveille de l'alternance des temps et des points de vue, y parvient avec autant de naturel que d'ironique et tendre empathie.
    Alain Bagnoud. Le Jour du dragon. L'Aire, 264p.

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    LES ANNÉES POP À CHERMIGNON Par Véronique Ribordy (Le Nouvelliste)

    Une éducation sentimentale

    Avec «Le jour du dragon», Alain Bagnoud livre une suite à la leçon de choses en un jour», récit très romancé d'une enfance à Chermignon dans les années 1960. Les années ont passé, le garçon arrive au seuil de l'adolescence et des années 1970. Comme le premier roman, «Le jour du dragon» se déroule sur une seule journée. Cette journée clé, l'auteur la situe le jour de la Saint-Georges, alors que tout le village est en fête. Ce sera aussi le jour de la première boum, des premiers émois amoureux et de l'irruption du vaste monde dans l'univers bien ordonné des villas tranquilles aux pelouses bien tondues, un univers où le maître, le président et le curé se partageaient jusqu'alors harmonieusement l'autorité. Pour les jeunes gens d'alors, la fanfare commence à perdre de ses attraits face aux groupes pop, la première cuite le dispute au premier joint. Le souffle du dragon, c'est pour l'auteur et son héros le souffle léger de la modernité et de l'ouverture au monde. Ce typique roman d'apprentissage dresse un portrait qui fait souvent mouche, celui d'un adolescent maladroit et timide. Ce rêveur un peu décalé se révèle pourtant un observateur attentif d'une société en mutation, où préjugés et manières de penser sont remis en cause. Et si le roman souffre parfois d'un trop-plein d'intentions, si le récit aurait gagné à quelques raccourcis et plus de fluidité, on se laisse prendre à cette relecture amusante, pertinente et non sans ironie de la vie des adolescents de ces années-là, sur fond de transformations sociales et d'inévitables désillusions. VR

                                                                                VÉRONIQUE RIBORDY

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    À LA SAINT-GEORGES Par Isabelle Bagnoud (Journal de Sierre)

    Alain Bagnoud a depuis longtemps quitté le Valais. Physiquement seulement. Car la trame de son nouveau roman se déroule, une fois de plus, du côté de Chermignon où l'écrivain est né il y a quarante-huit ans. «Le jour du dragon» aux Editions de L'Aire, révèle immédiatement le décor. On est au début des années 70, c'est la Saint-Georges à Chermignon. Pour le garçon qui participe à la fête, c'est l'entrée dans la fanfare, mais aussi le premier béguin, la visite chez un peintre citadin, l'invitation à une boum... C'est toute la tradition et la modernité qui s'entrechoquent et se vivent en même temps, le ventre tendu. Le blouson en simili-cuir et le verre de fendant, le rock d'un côté, la baguette de tambour de l'autre, les jeunes et les vieux et cet adolescent au cœur d'un récit qu'on devine autobiographique mais qui possède des envolées initiatiques universelles. Un roman qui se lit comme une carte postale, avec plein de détails qui font juste plaisir, car l'on s'y croirait...

                                                                                  Isabelle Bagnoud

     

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    Adolescence d'un écrivain, Par Antonin Moeri dans Blogres (http://blogres.blog.tdg.ch/)

    J'adore le présent de narration. C'est un temps qui fait ressurgir des faits comme s'ils se déroulaient sous les yeux du lecteur. Un auteur français l'utilise pour mettre en scène des moments d'une rare intensité : évasion du protagoniste, recherche d'un sentier perdu, découverte du cadavre de la femme adorée. Alain Bagnoud en use pour dire ou raconter ce que voit, entend, touche, ressent, mange l'adolescent qu'il fut. Cependant, quand le narrateur prend la parole trente ans après les faits, c'est au passé qu'il parle, tissant sa toile d'images et de réflexions sur le boulevard de la remémoration. Ce mouvement de va-et-vient entre ici et là-bas, entre maintenant et jadis, déclenche chez le lecteur une voluptueuse sensation qui n'est pas sans rappeler les effets de la caféine.
    Ainsi est-on convié à éprouver les émotions d'un garçon qui, un jour de fête catholique, marche au pas dans une fanfare villageoise, tape sur son tambour, tombe en pâmoison devant trois princesses, écoute le somptueux curé parler du dragon terrassé par Saint-Georges, sent les effets du premier vin (« magie du vin qui rend le monde plus beau, plus brillant, plus intéressant »), découvre une autre vision du monde, celle d'un jeune prof marxiste dont le discours l'époustoufle, se trouve médiocre, peu séduisant devant la fille qui disparaît avec un copain derrière les granges...
    Ce que raconte Bagnoud dans ce livre, c'est la transformation d'un regard, la construction d'une identité, celle d'un sujet que les modèles de comportement, la mentalité, les coutumes, les rôles et les projets des villageois ne sauraient contenter. Le doute, le désir, l'ennui, la révolte habitent cet adolescent qui rêve de conquérir une langue (territoire qui n'a rien à voir avec le sol des campagnards, la terre des pères et des aïeux), celle de la peinture, celle du roman qui permet de mieux comprendre ses sentiments et ceux des autres, d'expliquer la jalousie, l'envie ou la rage, qui « crée un écart par rapport aux croyances et aux parlers des entourages ».
    Le tour de force d'Alain Bagnoud est de concentrer en un seul jour (la Saint-Georges au début des années septante) un grand nombre de scènes, de dialogues, de souvenirs, d'arguments, de considérations sur l'amour, les classes sociales, la mort, les idées reçues, les normes, le langage, l'argent, la vérité, le progrès, la honte des origines, la drogue, la musique, les lois du capital, l'art, la spiritualité, les valeurs, la liberté sexuelle, la solitude, la violence, l'innocence, la culpabilité. C'est avec ces ingrédients et en s'adressant à l'imaginaire du lecteur que l'auteur réussit sa plongée dans une des périodes les plus belles et les plus déroutantes de la vie.


    Alain Bagnoud : « Le Jour du dragon » L'Aire, 2008

     

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    Le Valais merveilleux d’Alain Bagnoud, PAR SERGE BIMPAGE ( La Vie protestante)

     

    En cuisine, l’omelette est la plus difficile à réussir. Obtenir le velouté voulu, tout en respectant la singularité de l’œuf, c’est tout un art. Il en va pareillement du récit de vie. L’élever au rang de littérature, l’universaliser sans dénaturer le caractère personnel des ingrédients est une gageure.

    Eh bien, Alain Bagnoud est un bon cuisinier ! Dès la première ligne (« de l’extérieur de la maison venaient les grommellements, les bouillonnements brusques qui m’avaient tiré du sommeil. Des son inhabituels enchâssés dans le bruit du torrent…»), sa « Leçon de choses en un jour » se déguste.

    Un jeune garçon s’éveille le matin de son anniversaire. Il reçoit le plus beau cadeau qui soit, réalisant qu’il vient d’entrer dans l’âge de raison. Perspective exaltante, dont la matérialisation se révélera cependant plus ardue que prévu. Nous sommes dans les années soixante, en plein cœur d’un petit village vigneron du Valais. Le héros commence à comprendre les arcanes de cette société rurale ; sa hiérarchie, ses règles, ses désirs et ses angoisses de modernité.

    Alain Bagnoud emmène son lecteur par la main dans le quotidien rugueux et merveilleux de la vigne, de la maison, de l’école et de l’église. Tout un univers où le monde semble s’être arrêté devant le seuil du progrès ; tout un monde de petites gens au cœur gros comme les montagnes avoisinantes, qui parlent un patois dont l’auteur nous gratifie de la saveur. Avec un rare talent d’évocation et une justesse de ton qui soude ce récit de longue haleine, il brosse ici un portrait lumineux du Valais que Chappaz ne renierait pas.

    « Leçon de choses en un jour », par Alain Bagnoud. Editions de L’Aire, 292 pages

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    Roman d'apprentissage, Par Jean-Michel Olivier, Scènes Magazine

    Avec La Leçon de choses en un jour***, Alain Bagnoud (né en 1959 à Chermignon) nous donne un beau roman d'apprentissage. Divisé en sept parties, son livre raconte une journée très particulière : le narrateur enfant fête son entrée dans l'âge de raison (qu'il attend avec impatience). Qu'est-ce que grandir ? Quand devient-on adulte ? À quels mystères permet d'accéder cet âge de raison ? Avec finesse et empathie, Bagnoud recrée l'atmosphère d'un village valaisan des années soixante, perdu au milieu des vignes, avec l'école, l'église, le français mâtiné de patois que parlent ses habitants. Il analyse aussi sa hiérarchie, ses règles inquiétantes, la foi mêlée de superstitions des fidèles, les secrets fascinants de certains.
    La leçon de choses est une ouverture au monde mystérieux des adultes. Qui n'est plus le monde enchanté de l'enfance. C'est donc à la fois une découverte et un deuil. Seule l'écriture permet à l'enfant de concevoir que " le monde n'est pas toujours ce qu'il semble être, qu'il est plus riche et complexe qu'il n'y paraît. " Grâce à ce beau récit, d'une grande densité poétique, Alain Bagnoud revisite son enfance et se réconcilie, sans doute, avec ses racines valaisannes.

     





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