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Par Alain Bagnoud le 7 Septembre 2007 à 10:06
On ne sait jamais l'age du narrateur de La Recherche, mais il est possible de le deviner. La scène du baiser, lorsqu'il redescend de sa chambre au début du roman pour chercher sa mère, Proust l'avait déjà écrite plusieurs fois, dans Jean Santeuil et d'autres nouvelles, et les indications qu'il y met indiquent que le héros de l'histoire y a environ sept ans. Lors du premier amour pour Gilberte, quand ils jouent aux barres aux Champs-Élysées et qu'il réussit à devenir un intime des Swann, il en a quinze ou seize.
Ceci dure un peu et deux ans se passent ensuite, avant que le narrateur ne parte pour Balbec, son grand hôtel et ses bains de mer. Il approche donc de ses vingt ans lors de cet épisode.
Difficile, alors, de comprendre le chagrin immense, enfantin, qui le tient lorsqu'il doit quitter sa mère sur le quai de la gare, quand celle-ci s'est arrangée pour, de son côté, ne plus rentrer à la maison de crainte que son fils ne la suive. Un attachement inhabituel à cet âge. « Pour la première fois, je sentais qu'il était possible que ma mère vécût sans moi, autrement que pour moi, d'une autre vie. » Mais la plupart des gens de ton âge, Marcel, se réjouiraient de cette constatation !
Il y a tout le temps chez le narrateur, à n'importe quelle période, à n'importe quel âge, la cohabitation d'une intelligence aiguë, d'une lucidité exceptionnelle, d'un don d'observation et d'analyse rare, avec des sentiments infantiles, une sensibilité immature.
Mais c'est cela qui permet à l'écrivain d'éprouver les choses avec cette force. Puis la maturité arrivera à la fin. Lorsque le narrateur, au lieu de vivre les événements avec cette intensité du début, les écrira en y mettant cette distance, ce recul, cet écart qui sont les marques dit-on de l'expérience.
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