Proust incite, en fait, à apprécier mieux la vie
Bizarre
conception de l'intelligence dans La Prisonnière. Il
s'agit d'Albertine.
« Elle
n'était pas frivole du reste, lisait beaucoup quand elle était
seule et me faisait la lecture quand elle était avec moi. Elle
était devenue extrêmement intelligente. Elle disait, en
se trompant d'ailleurs: « Je suis épouvantée
en pensant que sans vous, je serais restée stupide. Ne le niez
pas, vous m'avez ouvert un monde d'idées que je ne soupçonnais
pas, et le peu que je suis devenue, je ne le dois qu'à vous. »
Résumons:
Albertine rétrospectivement comprend qu'elle était
stupide quand le narrateur a fait sa connaissance à Balbec la
première fois. Elle est devenue intelligente à force de
lire et de parler avec lui, ce qui lui a permis d'entrer dans le
monde des idées.
Une
vision qui nous étonne. Nous avons plutôt tendance à
considérer, actuellement, que nous sommes intelligents
ou pas, et que ça n'a rien à voir avec la culture. Que
l'intelligence est en quelque sorte un système de
fonctionnement du cerveau, une manière qu'ont les synapses de
communiquer entre elles. Ainsi, nous admettons que des gens illettrés
ou qui n'ont jamais eu accès au monde des idées peuvent
être intelligents, et que certains érudits sont
stupides.
Je
préfère la conception de Proust. C'est peut-être
parce que nous ne croyons plus à elle que la littérature
est désaffectée. Si on lui donne comme seul but le
plaisir, elle attire moins que si on affirme qu'elle permet un
accroissement de l'être, et, singulièrement, de
l'intelligence.
Ce
qui est vrai. Nous en avons tous fait l'expérience. Nous nous
sommes tous sentis plus intelligents grâce à la
fréquentation d'une grande oeuvre ou d'un grand esprit.
(Par
exemple en lisant Proust.)