• De livre en livre, Jérôme Meizoz construit ce qu'il faut bien appeler une œuvre. On la voit se bâtir au fil des parutions, comme un puzzle de textes courts dont les pièces s'ajustent de façon cohérente. L'image globale est celle d'un Valais du passé, d'une famille bouleversée par un drame, d'un village avec ses personnages curieux, pathétiques ou touchants, dits dans une écriture pudique, travaillée et juste, qui convoque l'émotion retenue et l'humour, allie quelques termes du vocabulaire suisse romand (« bardoufler ») avec une haute tenue littéraire,

    Grâce à tout ça, un auteur est révélé. Écoutons Borgès, cité par Meizoz à la fin de son ouvrage : « Un homme décide de dessiner le monde. À mesure que les années passent, il remplit un espace avec des images de provinces, de royaumes, de montagnes, de baies, de navires, d'îles, de poissons, de salles, d'instruments, d'étoiles, de chevaux et de personnes. Peu de temps avant sa mort, il découvre que ce patient labyrinthe de lignes dessine les traits essentiels de son propre visage. »

    Les anecdotes, les images, les sensations décrites dans Séismes sont évidemment liées au passé de Jérôme Meizoz, bien qu'il se défende de faire de l'autobiographie. « Séismes est une œuvre de fiction » précise le texte. C'est que l'auteur ne tente pas de raconter une histoire (son histoire), mais plutôt de dire quelques éclats qui se détachent du passé. Dans ces scènes non datées, le narrateur n'est pas un protagoniste mais un enregistreur, une caméra, qui capte ce qui l'entoure sans se donner jamais le rôle principal.

    Une phrase à la première page le suggère bien. Le narrateur parle de son père : « ...il criait un nom d'enfant, le mien, par la cage d'escalier, pour que l'école ne soit pas manquée. »

    Un nom d'enfant, le mien, et non pas mon nom. Cette distanciation entre celui qui parle et celui qui a vécu, senti, est un des moteurs de Séismes, qui raconte une adolescence, ou plus particulièrement les chocs, les cataclysmes personnels, les événements qui rythment le passage de l'enfance à l'âge adulte.

    Le premier choc est une tragédie. « Quand mère s'est jetée sous le train, il a bien fallu trouver une femme de ménage. » Sans cette mère, dont le souvenir revient au fil des pages, le jeune garçon se retrouve entre des personnages plus distants, le père, la tante, le maître d'école. L'environnement est cadré, et la vie lutte pour s'infiltrer.

    Tout est fait pour normer les jeunes gens, les entraver. La religion est imposée, avec ses représentants, curés ou religieuses (« Ma Soeur »), et une présence indispensable à l'interminable messe dominicale. L'Etat, monstre invisible semble tout puissant. L'école et plus particulièrement le collège dressent la « troupe de jeunes bestiaux » qui y sont expédiés par le train. La société de gymnastique, le camp scout, le recrutement préparent à l'armée et à sa mythique marche des 100 kilomètres.

    Mais des sources surgissent ou des espoirs naissent. Il y a les femmes, les baisers qu'on voit en ville, la digue ou se rencontrent Tine et Sara, que le jeune garçon observe...

    « Mon village, je peux le dessiner maison par maison. Je le connais comme mon sac à main. » dit Zouc en exergue du livre, qui comprend une autre citation, de Chappaz : « L'encre est la partie imaginaire du sang. » Le village transporté avec soi, l'écriture comme exposition de l'intérieur.

    Séismes est le dixième livre de fiction écrit par Jérôme Meizoz, né en 1967 à Vernayaz, en Valais, dans une famille de cinq enfants. Docteur ès Lettres, dont le travail universitaire se situe à l'interaction entre la littérature et la sociologie, il enseigne à la faculté des Lettres de Lausanne et a également publié des essais. Signalons encore que Zoé republie en même temps dans sa collection MiniZoé un recueil de Meizoz paru originellement en 2001, Destinations païennes.



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