• Sébastien Japrisot, polar et littérature

    Sébastien JaprisotOn peut reprocher tout ce qu'on veut à Sébastien Japrisot (L'Été meurtrier, Un long dimanche de fiançailles, Compartiment tueurs, Piège pour Cendrillon,La Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil, etc), mais il sait monter une intrigue. Les siennes sont construites comme de diaboliques petites machines complexes, des mécanismes sophistiqués et performants.
    C'est cette première caractéristique qui permet de le ranger dans la catégorie des auteurs de polar. Lui n'était pas vraiment d'accord avec cette classification et, avec un peu d'orgueil, il prétendait qu'on le considérait comme tel seulement parce que ses bouquins avaient été publiés dans une collection policière mais qu'il dépassait de beaucoup le genre.
    Je n'ai pas lu Un beau dimanche de fiancailles qui est peut-être plus ambitieux, mais en ce qui concerne ses autres livres, tout les définit comme des romans à suspense. Ce qui n'est pas du tout honteux, au contraire. Il n'y a pas de genre mineur.
    La grande force de Japrisot est de créer des labyrinthes dans lesquels le lecteur s'égare, se croit seul, perdu. Tout comme les personnages, il se heurte à des murs, à des miroirs, ne trouve pas d'issue. Au-dessus de lui, amusé, un peu machiavélique, l'auteur le guide à son insu et il voit bien, lui, le plan du lieu et l'emplacement de la sortie où il conduira l'égaré au moment où il le choisira.
    Quand vous avez fini un de ses livres, vous êtes étourdi, un peu sonné. C'est comme si vous regagniez le réel après être monté dans un train fantôme, et vous sortez de la cabane de foire, vous surgissez à l'air libre, vous avez une sorte de vertige.
    Mais vous n'avez pas ce sentiment d'avoir rencontré quelqu'un d'autre, d'avoir communiqué avec un moi étranger au vôtre, avec une subjectivité unique et pure, une vision du monde, une obsession. Dans ce qu'on appelle la littérature, en y mettant parfois une majuscule, les auteurs au contraire cherchent une vérité personnelle, particulière, qui passe à travers l'appropriation d'une langue. Japrisot construit plutôt une œuvre de distraction, subtile, avec des personnages fouillés, une reconstitution d'un univers, mais il y manque me semble-t-il une présence forte de l'auteur, une hantise, et une langue personnelle.