• Céline voyage en Amérique, loin du naturalisme

    Dans le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, Bardamu en Amérique ne pouvait manquer de visiter des endroits Usine Ford à Detroit, 1931emblématiques. Où l'on voit que Le Voyage n'est en rien ce roman naturaliste que certains avaient cru voir en lui. Sinon, Bardamu se serait bien retrouvé ouvrier à Detroit, chez Ford, mais il y serait resté, et on aurait une description minutieuse de ses conditions de travail.

    Tandis que là, quel vague! Une ambiance seulement, du bruit, un environnement inhumain. Et notre héros quitte presque aussitôt l'usine pour devenir proxénète. Enfin presque. Il accepte que Molly la prostituée lui offre un complet neuf mais il n'est pas décidé à assumer le rôle.

    On n'a rien encore de ce qui aurait fait les délices des naturalistes: des détails précis sur l'activité du maquereau forcément brutal, et une étude de Molly, la pute au grand cœur forcément en chute libre vers la dégradation complète. Au contraire, ici, le proxénète est sensible, la prostituée prospère et satisfaite, et tout reste vague.

    Chez Ford, lieu symbolique, donc. Comme Ellis Island, lieu de débarquement des émigrés où Bardamu s'est retrouvé à compter des puces et en faire des statistiques, satire de la scientificité efficace et appliquée des USA. Céline lui-même a bien visité ce pays, Usine Ford à Detroit, 1913, mais ne comptons pas sur lui pour en donner une image de journaliste. Comme toujours, il déforme, il exagère, il fait du grotesque, règle son compte au sujet dont il s'occupe. Ici le rêve américain.

    Ainsi, Le Voyage se présente sous la forme d'une suite d'épisodes. La guerre. L'Afrique. L'Amérique. La vie de médecin en banlieue, etc. Ce qui les relie: quelques personnages.

    En Amérique: Lola, que Bardamu a connue infirmière en France pendant la guerre, et qu'il retrouve pour la taper de quelques dollars. Mystérieuse Lola devenue riche, avec ses plus mystérieuses amies encore, mûres, bizarres.

    Et Robinson, qui réapparaît toujours pour expédier le narrateur d'un lieu à l'autre, le sortir de la routine, terminer l'épisode et en lancer un autre. Robinson, l'inquiétude de Bardamu, sa mauvaise face. Sa tentation et son envie de chute.