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Article dans Le Courrier du 12.4.14
La passe de trois d’Alain Bagnoud
DIMANCHE 13 AVRIL 2014A 55 ans, Alain Bagnoud ne chôme pas. D’autant qu’à côté de son activité littéraire, il enseigne le français à Genève, avec le beau souci de transmettre à ses élèves le maniement des mots et la curiosité de la lecture. En cette rentrée saisonnière, trois enseignes éditoriales romandes accueillent dans leur catalogue un nouveau titre de l’auteur d’origine valaisanne, par ailleurs blogueur appliqué.
La première (L’Aire), sous sa couverture bleu paon familière aux amateurs de Maurice Chappaz, Corinna Bille, Alice Rivaz ou Francis Giauque, publie Le Lynx, réédition d’un ouvrage de 2003, La Proie du Lynx. La réduction syntaxique du titre n’a rien d’anodin, puisque la réécriture de cette histoire de fantômes du passé, de gâchette et de bêtes totémiques en milieu alpin a consisté moins à rallonger l’intrigue qu’à la renforcer en la condensant. Contrairement à ces écrivains qui confient ne jamais relire leurs propres livres, Alain Bagnoud s’est pris au jeu de l’écriture palimpseste, «grattant» le superflu pour accéder à l’essentiel, à savoir une bonne vieille histoire qui fait écho aux turbulences de notre temps.
La seconde maison (Editions d’autre part), sur papier vergé cartonné chamois, fait paraître Comme un bois flotté dans une baie venteuse, une compilation de textes dédicaces saluant l’œuvre et/ou la vie de vivants et de morts chers à l’auteur. Aux côtés des grandes figures littéraires ou musicales comme Fernando Pessoa, Georges Brassens ou Rory Gallagher (dont la chanson «A Million Miles Away» inspira le titre du livre), signalons les portraits au miroir de lointains familiers et d’oubliés de l’histoire: ses grands-parents, Agnès et Ernest Bonvin, son professeur Guy-Claude Burger, Vital Bender, poète écorché vif de Fully, ou encore Laure Antoinette Malivert, amante de l’écrivain Robert Caze, qui tint salon à la Belle Epoque parisienne, dans l’entourage de femmes soucieuses d’émancipation.
Enfin, sur une initiative de son éditeur Patrice Duret, la troisième maison (Le Miel de l’Ours) publie Passer, faisant du coup entrer le prosateur dans un catalogue dédié à la poésie. Rien d’étonnant à cela puisque l’attribut «poétique» ne rime plus depuis longtemps avec «métrique». Si l’intéressé se défend d’être de cette tribu, l’opuscule de poche – joliment enrobé dans sa couverture sanguine à rabats – contient quelques morceaux d’une concision bien sentie, rythme et chute confondus: «La trace de sabot d’une biche dans la tache de neige, dernière neige d’octobre vite fondue. Et le pas de la biche s’efface. Ses crottes, petits ovales noirs et durs, rappellent des bonbons pour la gorge.» Le petit rictus de dégoût qui nous saisit alors est immédiatement remplacé par un sourire, signe que l’association est réussie. Ailleurs, on se plaît à lire un bref éloge de la faille et de l’amour simple, à qui les exploits retentissants n’apportent rien.
Il y a dans ce livre minuscule des plaisirs nomades, des interrogations universelles, des chutes d’aiguilles, des flirts avec la vie et des oiseaux qui s’envolent dans «le petit miroir de la mémoire». Certes il abrite encore quelques tics de prosateur – faciles enfilades de syntagmes, rimes internes ostensibles –, mais lorsqu’on y lit que les mots sont «doux comme des nids, chaleureux comme une bouteille de petite arvine qu’on boit le soir sous un pommier», l’envie nous vient de remercier l’auteur d’avoir dit oui à la sollicitation du Miel de l’Ours.ALAIN BAGNOUD, LE LYNX, L’AIRE BLEUE, 2041, 132 PP; COMME UN BOIS FLOTTÉ DANS UNE BAIE VENTEUSE, ED. D’AUTRE PART, 2014, 136 PP; PASSER, LE MIEL DE L’OURS, 2014, 48 PP.