• Pierre Yves Lador: Chambranles, embrasures, légumes et enquête

    La rentrée littéraire, inéluctable, apporte cette année dans ses vagues un roman de Pierre Yves Lador, Chambranles et embrasures. Un texte que j'ai lu en priorité pour une raison anecdotique : je venais, cet été, de me plonger dans ses deux derniers livres, (La guerre des légumes et L'enquête immobile.)

    Actualité oblige, commençons par le dernier paru. Chambranles et embrasures, au titre subtilement choisi (on en jugera d'après le contenu), est un roman érotique.

    Son narrateur, ancien chasseur de molécules dans la jungle amazonienne, peut se vouer à la poésie après avoir découvert un remède tiré d'une écorce, médicament dont il touche une partie des droits. Il entend faire découvrir ses œuvres au public. Sa méthode de propagande est hardie : sonner aux portes, réciter ses poèmes, et vendre ses plaquettes aux intéressé(e)s.

    C'est ainsi qu'il arrive chez Eliane, femme « assez imposante », qui habite une maison mystérieuse et lui commande une histoire par semaine, un texte de 4000 signes, inédit, que le poète viendra lire personnellement. Dans cette habitation qui se transforme à chaque visite, dont les portes mènent à des lieux oniriques, le poète vivra toutes sortes de rencontres, Eliane ayant décidé de l'initier à l'érotisme.

    Rien de plus difficile que ce genre. Mais Lador triomphe des écueils naufrageurs. Il réussit à ne pas lasser, chose difficile dans la description de scènes de sexe. Sa méthode : varier joyeusement les situations, les lieux, les contraintes, les partenaires, créant ainsi une suite d'ambiances étranges et de scènes fantasmatiques réussies, qui font la part belle au langage.

    De l'érotisme – quoique en moindre concentration - et de l'ironie, il y en a aussi dans ses deux derniers livres publiés. La guerre des légumes évoque la guerre universelle entre les espèces, particulièrement le chou et l'homme. L'enquête immobile mêle une recherche policière sur le fils d'une marquise et une quête de l'idéal amoureux. D'après les intentions de l'auteur, ce diptyque oppose nature et culture, urbanisation et violence. On voit que Lador ne choisit pas des thèmes ni des sujets ni des histoires simples.

    Mais l'intérêt chez lui est moins dans l'histoire racontée que dans les digressions que se permet l'auteur avec une liberté souveraine. Lador, si vous voulez, est l'anti Joël Dicker. Notre jeune auteur triomphant captive le lecteur avec une intrigue, se préoccupe peu de l'écriture, mais son succès vient, comme le démontrait Jean-Louis Kuffer dans son blog, du fait qu'il pavient à faire voir, à créer des scènes visuelles fortes.

    La manière de Lador diffère complètement, et on ne peut apprécier ses textes si on n'est pas intéressé par la langue. Dans un flux maîtrisé qui fait la part belle aux associations libres, Lador crée des romans encyclopédiques, labyrinthiques, érudits, qui se permettent tous les détours, cheminent dans les sentiers de montagne tortueux plutôt que sur des autoroutes, font la part belle aux figures rhétoriques, syntaxiques, stylistiques.

    Ceux qui veulent une intrigue à rebondissements bien ficelée s'impatienteront. Ceux qui aiment musarder, qui apprécient les cheminements imprévus, qui prennent du plaisir à se confronter à un univers complexe, érudit, aux niveaux de langues variés qui intègrent aussi avec bonheur le lexique suisse-romand, savoureront ces textes.



    Pierre Yves Lador, Chambranles et embrasures, Editions de L'Aire

    Pierre Yves Lador, La guerre des Légumes, Olivier Morattel éditeur

    Pierre Yves Lador, L'enquête immobile, Olivier Morattel éditeur