• Maupassant vu par Léon Daudet

    Léon Daudet

    Pour moi qui ai lu avec intérêt le Journal des Goncourt, les Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux de Léon Daudet est un livre passionnnant. Le fils d'Alphonse Daudet y donne une autre vision du même milieu. On y voit tout ce qui compte dans les lettres de l'époque, de Hugo à Zola. Tenez, par exemple: Maupassant.

    "Maupassant réagissait par ses biceps et par ses anecdotes galantes, à double figuration de bonnes et de dames du monde, à double décor de soupente et de salon. Il n’avait pas encore publié Sur l’eau, ce cri déchirant d’une sincérité dévastée par le mal. Quand il avait fini de turlupiner ses chers docteurs, il se réfugiait auprès d’une petite dame blonde dont j’ai oublié le nom et lui contait fleurettes — mais quelles fleurettes ! — tout bas, avec un air tendu de maniaque.

    "Ayant su que je me destinais à la médecine et que je fréquentais chez le docteur Charcot, il m’entreprit un certain soir sur l’hydrothérapie, qui lui tenait fort au cœur et lui paraissait destinée à remplacer tout autre remède. Il avait entendu parler d’un certain jet glacé sur la nuque, en usage, je crois, à Divonne, auquel ne résistait aucune névralgie oculaire. Je dus répondre péremptoirement, avec une incompétence parfaite, mais la fierté d’être interrogé, moi, simple étudiant de première année, par le pauvre Guy. On distinguait dès cette époque et à l’œil nu, dans Maupassant, trois personnages : un bon écrivain, un imbécile et un grand malade. Ils ont évolué depuis séparément, les deux premiers ayant tendance à s’absorber dans le troisième. Mais, avec la malveillance naturelle à la jeunesse, c’était surtout l’imbécile qui nous frappait par sa fatuité. Je n’ai nullement été surpris d’apprendre par la suite que les femmes, et les plus sottes et les plus vaines, le faisaient tourner en bourrique. Il appelait par ses prétentions les mauvaises farces et ces taquineries cruelles des salonnards et salonnardes dont on raconte ensuite, en exagérant, qu’elles ont causé la perte de leur victime. Il était prêt pour de charmants bourreaux. Je lui en ai connu de délicieux, mais qui abusèrent de son insupportable affectation de virilité pour le déchiqueter sans merci. Belle série pour un peintre comme Hogarth, ayant le sens de la progression dans le pire, que cette vie à étapes de plus en plus noires, allant du salon au cabanon !"