• Les Goncourt et Proust, suite (et fin?)



           "Une Soirée au Pré Catelan" (1909), de Henri Alexandre Gerveux (1852-1929)

    Les Goncourt et Proust concoivent la littérature de manière assez différente. Pour les uns, c'est une branche de la science, pour l'autre de la religion. Connaissance exacte et approfondie d'un côté (je cite le Petit Robert). Reconnaissance par l'homme d'un pouvoir ou d'un principe supérieur de qui dépend sa destinée et à qui obéissance et respect sont dus, de l'autre.
    D'où, chez les Goncourt, cette tendance à faire de chaque roman une étude. La fille Elisa, c'est une étude de fille. Charles Demailly une étude des hommes de lettres. Les frères alignent les cas pittoresques de la même manière qu'Edmond exposait dans son grenier les curiosités, les objets rares, les bibelots et les gravures. Comme Zola, qui a inventé avec eux le naturalisme : "Toute l'opération consiste à prendre les faits dans la nature, puis à étudier le mécanisme des faits en agissant sur eux par les modifications des circonstances et des milieux" (Le Roman expérimental). L'œuvre des Goncourt (ou de Zola) vise au répertoire.
    Proust, c'est le contraire. Pas le répertoire, mais la totalité. Le principe supérieur. Souvenez-vous de la fameuse page du Temps retrouvé, dans La Recherche : « La grandeur de l'art véritable, au contraire de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c'était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d'épaisseur et d'imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie. »
    « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature. »