• On the road: le film

    C'est donc le film, que je n'ai pas vu, tiré du livre de Jack Kerouac, On the road, qui m'a poussé là-dedans. La relecture du livre.

    Et qu'est-ce que j'apprends en le recherchant? Qu'on a publié, à l'occasion du cinquantenaire de sa sortie, le rouleau original. Ni une ni deux, je l'achète.

    L'histoire est bien connue. Après avoir préparé son rouleau, découpé et collé du papier, Kerouac s'est mis à taper comme un fou sur sa machine à écrire un texte compact, avec une rapidité qui stupéfiait ses visiteurs, sans paragraphes, sans retours à la ligne. Pas de regret, pas de repentir. Sa méthode était inspirée des solos de bebop. On développe de longues improvisations à partir d'un thème.

    En trois semaines (du 2 au 22 avril 1951), Kerouac remplit un rouleau de papier de 36,50 mètres de long, Un exploit.

    Bien entendu, la réalité n'est pas aussi merveilleuse que la légende. Cela faisait quatre ans que Kerouac préparait ce livre. Il en avait commencé plusieurs versions, dont une en français, sa langue maternelle, ou plutôt en joual, puisque ses parents étaient québécois. Des quantités de textes avaient été rédigés dans des carnets, pendant les voyages ou plus tard. Entre le 2 et le 22 avril 1951, la machine à écrire était entourée de ces documents, que Kerouac reprenait.

    EKerouact l'histoire du livre ne s'est pas terminée là. Notre auteur a fait le tour des maisons d'éditions pendant six ans avant qu'une ne le publie. Du coup sa manière de voir s'est modifiée. Kerouac était sans concessions lors de son premier rendez-vous. C'était à prendre ou à laisser, il ne changerait rien. Sept ans plus tard, il accepte toutes les modifications demandées par Viking. Les phrases sont raccourcies, coupées en deux. Les noms sont changés. Jack Kerouac devient Sal Paradise, Allen Ginsberg Carlo Marx... Les descriptions des personnages sont modifiées pour qu'on ne puisse pas les reconnaître. Tous les passages concernant la sexualité sont supprimés. Il s'agit d'éviter l'accusation d'obscénité.

    C'est cette version atténuée, expurgée, adoucie, qui a rendu Kerouac immédiatement célèbre, du jour au lendemain. C'est celle que j'avais lue il y a quelques années.

    Place, maintenant, au rouleau original. Là, pas de problème, on voit bien de qui ça parle. Kerouac, Ginsberg, Burroughs, Neal Cassady et ses femmes, tous sont nommés. Plus de censure. On s'en rend compte assez vite, quand Ginsberg explique comment Cassady se partage sexuellement entre ses deux épouses et lui.

    Et ça pulse. Les voyages, l'excitation, les fêtes, les rencontres, les autres. Tout le monde traverse les Etats-Unis dans tous les sens, aiguillonnés ou conduits par Neal Cassady, hyperactif, surexcité, magnétique, sexuel, exerçant un pouvoir d'attraction sur tous ces intellectuels de qui lui, le voyou, habitué des maisons de corrections et des prisons, aimerait apprendre à écrire, de qui il s'approprie le langage philosophique sans toujours le comprendre.

    Kerouac, lui, est dans une quête mystique et hallucinée, recherchant on ne sait quoi, son père mort peut-être, l'Amérique, sa propre mort.

    Ce sont les grandes années de Kerouac. Il finira ensuite devant sa télé à boire, réactionnaire défendant la guerre du Vietnam, en conflit avec les gauchistes, ayant épousé la sœur d'un ami d'enfance, et mourra finalement à 47 ans d'une hémorragie intestinale liée à une cirrhose du foie.

    Mais c'est une autre histoire. Une histoire que Jean-Jacques Bonvin a condensée dans son petit livre incandescent, Ballast. A lire en parallèle de Sur la route, en même temps que le livre de Jean-François Duval, Kerouac et la Beat Generatio (PUF, 2012) dont Jean-Michel Olivier vous parle ici.





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