• Le pressoir de mon père

    Surprise sur le web ! Je cherchais des illustrations liées à la vigne. Et je tombe sur le pressoir de mon père ! A Ollon ! Dans la maison où je suis né. Où mes parents habitent encore. Le dernier pressoir à vis en activité, d'après le Musée valaisan du vin et de la vigne. Mon père et mon beau-frère y pressent encore quelques brantes du fendant de devant la maison.

    Ce pressoir dont j'ai parlé dans mon dernier livre. Allez, je cite:

     « Le réduit à légumes et à confitures. L'atelier où les hommes stockaient leurs outils. Le vieux pressoir à la pierre impressionnante que des mulets avaient traînée depuis la plaine sur des rondins de bois. La cave enfouie que mon père et mon grand-père avaient aménagée en carnotzet une ou deux années plus tôt - tintement des pics sur le roc, étincelles, odeur de salpêtre - ô souvenirs ![...]
     Le pressoir de mon père« La maison avait été construite sur le pressoir qui servait collectivement à tout le bas du village. Elle était utilisée pour le remuage dans la famille de ma grand-mère. On s'y entassait pendant les périodes des vignes, oncles, tantes, cousins au premier, au deuxième degré.
    « Ma grand-mère juste mariée avait hérité du bâtiment après des séries de morts qui avaient brutalement élagué son arbre familial. Le jeune couple qui n'avait pas les moyens de vivre à Aulagne d'en Haut s'y était installé à l'année pleine. Ç'avait été une déchéance sociale mais aussi une chance inespérée.
    « Mon grand-père était issu d'une famille pauvre. Des paysans qui cultivaient les terres des autres. Ils travaillaient comme ouvriers dans les vignes et les mayens d'alpage. Valets issus de valets qui se refilaient la fonction depuis le fond des âges, trimaient pour des fermiers sans pouvoir se constituer un patrimoine.
    « Installé par force à Aulagne d'en Bas, mon grand-père s'était loué à des possédants. Il leur avait inspiré assez de confiance pour que certains le fassent « métral », payé à la surface pour s'occuper des vignes, et avait ainsi pu acheter petit à petit quelques terrains mal placés où s'accrochaient buissons, chênes et pins rabougris. Des pentes à bas prix parce que les bêtes ne pouvaient pas y paître, que les légumes ou le blé n'y poussaient pas. Mais la vigne s'adapte aux sols les plus arides et aux déclivités les plus raides.
    « Mon père, bon à l'école, aurait voulu devenir instituteur mais faute d'argent, il avait dû abandonner toute ambition. La famille avait à peine de quoi manger et le fils était destiné à aider à la campagne, sans bien entendu qu'il soit jamais payé. Mais comme il était un gros travailleur et une force de la nature, robuste, endurant, jamais malade, qui travaille encore dans les vignes aujourd'hui qu'il a plus de trois-quarts de siècle, il a pris lui aussi des terrains à soigner en dehors de ses obligations, a accumulé les heures de travail, économisé pour acquérir mètre par mètre au fil du temps un petit domaine qui lui suffirait enfin pour vivre, quelques années après celle dont je parle ici.
    « Car finalement, la vigne s'était mise à rapporter de l'argent. Après la guerre, les machines étaient arrivées : tracteurs, treuils, pompes à sulfater, charrues pluri-fonctionnelles, qui avaient permis de multiplier la surface dont les vignerons s'occupaient. Au même moment, l'utilisation massive des engrais et des pesticides favorisait des récoltes sans proportion avec celles qu'ils avaient connues. Ils pouvaient ainsi embellir les maisons, acquérir des terres et faire éduquer leurs enfants. Ils s'initiaient au luxe et au progrès. Ils achetaient des machines à laver, des réfrigérateurs, des radios, des petites voitures et des meubles préfabriqués. Ils allaient manger dans les cafétérias des supermarchés... » 

    Ce qui veut dire qu'en raccourci, c'est à cause de ce pressoir que j'ai pu faire des études et ouvrir ce blog...