• Le chemin des écoliers, par Marcel Aymé

    Le chemin des écoliers est lié à un mouvement d'idées. Il y a eu un moment, après la guerre, où les écrivains de droite s'opposaient aux idées de Sartre sur l'engagement, la liberté, la responsabilité, et voulaient montrer, eux, que la réalité des choix est plus aléatoire, que des circonstances avaient pu conduire certains dans des voies extrêmes. Je pense par exemple au Petit canard, de Jacques Laurent, où un événement d'ordre sentimental faisait basculer quelqu'un dans la collaboration avec l'armée allemande.
    Dans Le chemin des écoliers, Marcel Aymé tourne autour d'une famille pendant l'occupation. Le père vit dans les idées et les théories. C'est un être bon, naïf, qui gagne mal sa vie en gérant des immeubles. Il découvre soudain que son deuxième fils  distribue des tracts pour le parti communiste.
    Son premier, au contraire, a été introduit dans le marché noir par un ami, le fils d'un caïd de la pègre qui gère un restaurant. A 16 ans, il gagne en une opération plus que deux ans de salaire de son père. Il sort avec une poule de 26 ans dont le mari est prisonnier des Allemands, qui a une petite fille et qui fréquente un ami de son mari, lequel décide d'intégrer l'armée allemande et de combattre sur le front de l'est pour s'opposer aux juifs, aux communistes et aux poètes cubistes. Sic.
    L'autre grand personnage du livre est le collègue du père, peu préoccupé par la guerre, lui. Il vit un enfer entre sa femme comédienne ratée qui le méprise, croit être une artiste dont la carrière va reprendre. Ils ont un fils vicieux qui torture les animaux, vit en ménage à trois avec un vieil homosexuel et une putain, se prostitue et finit par tuer la fille et la vendre comme viande au marché noir.
    Le tableau s'élargit encore grâce aux notes de bas de page. Les personnages secondaires croisés au hasard y ont droit à leur biographie résumée. Ça donne une foule de destins manipulés, brisés ou favorisés par la guerre.  Un maelström qui prend les être, fait basculer leur destin au hasard, et les expédie dans un camp ou dans l'autre.
    Démonstration servie par la clarté, la netteté, la précision de la langue, et cette ironie propre à Marcel Aymé qui relativise toutes les croyances absolues. 

    Marcel Aymé, Le chemin des écoliers, Folio

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