• La mort est mon métier, par Robert Merle

     Les Bienveillantes m'a déjà fait lire Robert Littell, et voici qu'il m'entraîne chez Robert Merle. Deux Robert. On évite les jeux de mots douteux, d'accord ?
    Merle a pris la vie et l'œuvre de Rudolf Hoess, le directeur d'Auschwitz, pour en faire un roman. Ça s'appelle La mort est mon métier. Mais l'entreprise n'a rien à voir avec celle de Jonathan Littell. Ces deux auteurs me rappellent Jacques le Fataliste et son maître. D'un côté la complexité, la richesse, l'interprétation, l'attention au corps, au sexe, au sens. De l'autre un esprit simple, mécanique et superficiel.
    Merle est comme tout le monde, il veut comprendre ce qui s'est passé, expliquer l'inexplicable. Alors, il établit une démonstration. Il utilise la raison. Il vise à expliquer logiquement que Lang soit devenu ce qu'il est devenu.
    Ça commence à l'enfance avec un père qui traite sa famille de façon militariste. Ce père tourmenté a fauté à Paris avec une femme, il décide de prendre sur lui les péchés de sa famille, instaure la terreur à la maison et décrète que le fils sera curé. Quand il meurt, Lang remplace ce carcan par l'armée et Dieu par l'Allemagne. Puis le carcan militaire par celui des SS et l'Allemagne par Hitler. Et son papa par Himmler. Toujours dans l'obéissance et sans états d'âme, sans amour et sans haine.
    C'est d'une logique sèche et parfaite. Une trajectoire dont chaque geste, chaque fait vise à expliquer comment il est amené à finalement exécuter deux millions et demi de Juifs à Auschwitz, dans des scènes dont la simple description provoque bien évidemment l'horreur.
    Le problème est que tout est récupéré dans ce texte, tout sert à quelque chose, tout est organisé. Résultat : Lang semble une mécanique. Il n'a aucune chair, aucune âme. C'est un automate et pas un homme. Il n'y a rien d'irrationnel en lui, presque aucun sentiment. Le personnage semble complètement faux et tout à fait à la surface. Un androïde complexe, certes, mais inventé pour une expérience dont le résultat est déjà connu.
    Le contraire exact de Littell, qui, dans les mêmes circonstances, avec les mêmes faits, crée un personnage (Aue) compliqué, qui aspire à l'idéal de maîtriser son irrationnel et d'en arriver à ce détachement que Lang montre avec une facilité incroyable. Aue, lui, n'y parvient pas. Ça remonte et ça déferle malgré lui, en lui, dans son corps et ses actes. Sa rationalité est perturbée par un affect qu'il renie. Le résultat est infiniment plus fort, et plus fortes aussi l'épouvante et l'incompréhension qu'éprouve le lecteur.