• L'Odyssée d'Homère au Théâtre du Grütli

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p>        Ulysse raillant Polyphème, par Turner
    </o:p>
    Toute L'Odyssée au Théâtre du Grütli. Une nuit de lecture, 66 comédiens et la lumière du texte d'Homère pour passer le solstice.
    C'était hier au soir et ce matin. Une entreprise un peu folle, proposée par Carlo Gigliotti, qui touchait à l'exploit sportif, au liturgique, à la fête.
    Il fallait tenir. Les comédiens d'abord. Le premier mot a été prononcé par Jacques Probst le vendredi à 20 h 00, le dernier par Daniel Wolf le samedi entre 10 h 30 et 10 h 45. Je m'étais promis de noter l'heure exacte, je n'y ai plus pensé dans l'effusion des applaudissements, après ces 14 à 15 heures de lecture dans un dispositif scénique simple.
    Une très longue table, des chaises, un lutrin, un lustre, des éclairages en jaune et bleu tamisé pour la salle et le décor. Et des numéros de comédiens, faisant dans le sobre ou le théâtral, d'après leur caractère et leur talent. Il y avait tout ce que le coin compte de grosses pointures. Des acteurs qui avaient pris le risque de l'improvisation. Vous imaginez bien qu'avec le nombre, aucune répétition n'avait été possible avant. Il fallait y aller, se lancer, interagir, résister à la fatigue. C'était forcément irrégulier, intéressant aussi, et on a pu voir petit à petit, à mesure que les acteurs s'écoutaient les uns les autres, au fil des heures, naître quelque chose. Une colonne vertébrale, un style presque.
    Le public était en face, sur des transats ou des chaises, avec des cousins et des couvertures mis à disposition. Nombreux. A ce niveau-là aussi, c'était un succès. Certains ont tenu le coup toute la nuit et toute la matinée. Mes filles par exemple. Pas moi. A mon âge !
    Je suis donc allé dormir quelques heures. Mais en revenant, ce matin, je trouvais quelque chose d'émouvant à penser, dans le matin glacial, que le texte d'Homère avait été dit tout le temps, qu'il continuait à être dit, dans cette salle vers laquelle je me dirigeais, au rez-de-chaussée du Grütli, avec le bar ouvert à côté, qui proposait petite restauration et alcools.
    Un bar qui avait été bien fréquenté jusque tard dans la nuit. Pensez : 66 comédiens ! Et des gens qui passaient. Qui arrivaient en cours de spectacle ou qui sortaient de la salle pour se sustenter, se rafraîchir entre deux chants. On leur proposait une salade orientale le soir, puis une soupe au lentille à deux heures, un petit déjeuner. Et à la fin, le samedi matin : champagne !
    A l'intérieur de la salle, l'ambiance était plus au sacré. Une vraie cérémonie se déroulait, qui donnait l'impression aux spectateurs de participer à quelque chose d'important. Cette profération qui renouait avec l'origine du texte, quand il était chanté par des aèdes et rythmé par des lyres, des cithares, ou déclamé par des rhapsodes.
    Et puis les circonstances. La nuit du solstice qui terrifiait nos aïeux dans leurs cavernes, cette nuit qui effraye toujours la part primitive en nous. L'obscurité, le froid, la sauvagerie, la mort.
    Et pour résister : la poésie, la civilisation, la culture. La littérature et un de ses chants  fondateurs. Le soleil de la Grèce. L'éclatant Homère.
    Oui, ça avait du sens.