• L'Etabli

    L'Etabli. Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. C'était un établissement baba-cool. Sans alcool, à l'époque. On n'y boit pas moins qu'ailleurs, aujourd'hui, mais l'ambiance a gardé quelque chose de ces années 70. Une ambiance, un mobilier, quelques détails comme les lampes de la deuxième salle dont les abat-jours sont recouverts de tissus multicolores.
    Car il y a trois salles en enfilade. Assez étroites derrière. Qui donnent un peu l'impression d'un long et large corridor. La première, où est installé le petit bar (en forme d'établi), contient surtout une très grande table rectangulaire autour de laquelle on peut se mettre à dix, quinze, plus si on se serre. Au mur, des affiches de cinéma, de théâtre...
    La deuxième a de petites tables carrées à dessus rouge. Des tables à deux places devant des banquettes en cuir beige.  Ces fameuses lampes. C'est plus intime.
    Je suis là, actuellement, à rédiger ce texte. Eh oui, je travaille parfois dans les cafés. Pas par pose ou pour prendre la posture, comme prétend Jean Winiger, qui rigole en disant que je joue à l'écrivain.
    Mais je lui rétorque que je passe totalement inaperçu parmi tous ces étudiants à ordinateurs portables, rapports et photocopies. Il y en a ici. Juste de l'autre côté de la petite séparation entre les rangées de tables, qui supporte des flyers. Genève urban map , le Bistr'ok et ses repas biologiques, programme moaclub. Plongés dans leurs devoirs ou leurs recherches.
    L
    a troisième salle , enfin, est plus claire, et donne sur une grande terrasse intérieure, entre les façades d'immeuble, mais avec fresque murale.
    L'établissement a du succès. Encore aujourd'hui. Plein de jeunes le soir. Une anecdote. Une de mes élèves, blonde délurée de dix-neuf ans avec un anneau dans le nez, me demande où j'habite. Elle repère l'endroit. « Pas très loin de l'Etabli », dit-elle. Je l'informe que j'y vais depuis des années. « Non », rétorque-t-elle très choquée, « c'est moi qui y vais. »
    J'ai eu beau affirmer que c'était aussi mon cas, elle ne m'a pas cru !