• Juste un jour, par Antonin Moeri

    Juste un jour, par Antonin MoeriDu grand Moeri. Je parle de Juste un jour, son roman récemment sorti chez Bernard Campiche.
    Un titre explicite puisque que le livre raconte la journée d'une famille depuis le lever du père à l'aube, jusqu'à la scène finale, au soir, proprement célinienne, dans un magasin bondé où les enfants qui vont acheter du lait passent à travers un tumulte hystérique.
    Ils sont quatre, les parents et deux enfants, un garçon, une fillette. Ils ont gagné le concours Starlight, dont le prix est un séjour à la montagne lors du mardi-gras. Ils skient observent, parlent, se chamaillent ou s'aiment. Rien ne se passe en fait d'exceptionnel, mais à travers cette journée, se déploie petit à petit toute l'histoire de cette famille, avec ses individualités, ses singularités, les anecdotes de son histoire, les liens particuliers qui unissent ses membres, sur le tableau de fond vaguement grotesque d'une station d'hiver en plein carnaval avec des skieurs déguisés sur les pistes.
    Une journée racontée par les membres de la famille, mais aussi par deux employés de restaurant qui offrent un regard extérieur sur ces touristes plutôt étranges dans la foule colorée et ludique. C'est une mise à l'écart intéressante, un petit basculement de niveau qui donne un effet de miroir au roman.
    Tous ces personnages s'expriment, par monologues pris sur le vif ou par des récits faits plus tard à des occasions diverses. Ils rêvent ou se confient à quelqu'un, pas toujours la même personne. A un interlocuteur qui est parfois défini, parfois vague. « Il semblerait qu'on entende des voix dans ce livre, qu'on ait décidé d'ouvrir son cœur, de s'en remettre à quelqu'un. Mais à qui ? A une journaliste, à une psy, à une avocate chargée de démêler les responsabilités de chacun, ou, peut-être, à un lecteur », explique le quatrième de couverture.
    Un lecteur qui se trouve au centre de cette polyphonie de voix, lesquelles donnent au livre son sens et sa profondeur. Elles se succèdent, reprennent, reconnaissables, définies parfois par des tics, comme celle de l'homme qui bégaie. Un effet réussi. C'est délicat, le bégayement dans l'écrit, ça peut vite devenir pénible. Ici, au contraire, ça induit des résultats de comique irrésistible.
    Ce travail sur l'oralité est renforcé par une position narrative qui a évolué depuis les derniers volumes de Moeri. Le narrateur n'est plus cet être détaché, observateur, qui observe les insectes humains depuis l'extérieur de leur monde. Il y a dans Juste un jour moins d'études de cas particuliers qui puissent donner l'occasion d'idées générales et de jugements globaux sur la société, et plus d'implication dans une matière vivante, fertile, organique, proche, plus d'individualisation et de complicité avec les êtres et le monde.
    Esthétique nouvelle, contenu riche. Du grand Moeri, je vous le dis !
    (Et que ceux qui ne l'auraient pas encore lu et qui voudraient connaître mieux l'auteur n'oublient pas l'entretien qu'Antonin Moeri a bien voulu accorder à ce blog, en répondant aux questions posées par votre serviteur.)