• Jean-Pierre Amette, La Maîtresse de Brecht

    Vous avez déjà entendu parler de ce roman ? La Maîtresse de Brecht ? Non ? Il a pourtant obtenu le Prix Goncourt en 2003.

    BrechtJe l'ignorais quand je l'ai pris dans les rayonnages d'une bibliothèque publique. C'est le titre qui m'a intéressé, et quelques pages que j'ai lues sur place - et peut-être, oui, le vague souvenir d'articles dans la presse. Mais il n'a pas obtenu un grand succès malgré son prix, il me semble. C'est peut-être parce qu'il est assez intéressant.

    Il y est question du retour de Bertolt Brecht à Berlin-est. Nous sommes en 48. Le dramaturge s'était réfugié aux Etats-Unis, mais il a dû partir, poursuivi pour activités anti-américaines et parce qu'il se déclare marxiste. L'Allemagne de l'est l'accueille et va faire de lui son grand homme.

    Ça, c'est la façade. Par derrière, il est surveillé, épié, admonesté. Les services secrets utilisent plusieurs de ses proches et de ses acteurs pour recueillir ses moindres faits et gestes.

    C'est le cas de Maria Eich. Elle a été compromise par son père et son mari, nazis notoires, mais c'est tout de même d'un « cœur ardent et pur » qu'elle accepte sa mission. Elle devient la maîtresse de Brecht. Elle n'est pas la seule. Le dramaturge dans la cinquantaine s'attache à baiser toutes les jeunes actrices qu'il rencontre, menant de multiples aventures de front, traitant ces femmes comme des objets qu'il utilise à sa guise, exploitant son pouvoir sur elles.


    C'est du moins ce que décrit Amette. Son roman à l'écriture elliptique est curieusement anti-érotique. On y parle beaucoup de sexe et de coucheries, mais on a à chaque fois l'impression qu'il s'agit d'un acte d'oppression, que les femmes n'y trouvent pas le moindre plaisir, qu'elles sont dépourvues de toute sensualité, qu'elles se forcent par obligation ou par intérêt.

    Maria est fascinée par Brecht mais ne l'aime pas. Elle aime son officier traitant qui refuse d'avoir une relation avec elle, par sens du devoir. Elle suit une trajectoire descendante : elle veut devenir la plus grande actrice allemande, elle obtient un premier rôle dans Antigone, puis des rôles secondaires, puis abandonne le théâtre et donne des cours de langue dans un institut provincial. Mais elle finit apaisée, finalement, à cause de cette renonciation.

    Et Brecht ? Oui, c'est ce qui fascine. Un metteur en scène ouvert, qui veut éduquer le peuple et dont le régime se méfie, qui écoute les suggestions de ses acteurs, hésite, théorise parfois, écrit des poèmes, et dont les œuvres ne ressemblent à rien.

    Encore une fois, on se retrouve devant le mystère de la création, insoluble. Sans pouvoir percer, ni même effleurer le génie, son fonctionnement et ses réalisations.

    Jean-Pierre Amette, La Maîtresse de Brecht, Albin Michel