• Festins secrets et la violence à l'école

     Il y a des choses qui m'agacent, dans Festins secrets de Pierre Jourde, que je suis en train de lire. Cette rengaine à la mode, par exemple, contre les élèves qu'on trouve aujourd'hui dans les classes : des voyous, des analphabètes, des brutes, des mafieux. Des barbares agressifs, incultes, possédant un vocabulaire de 40 mots dont 30 insultes, maintenus dans l'ignorance par une éducation inadaptée qui s'efforce de ne rien leur apprendre, qui leur passe tous leurs caprices, qui se met systématiquement à plat-ventre devant eux.
    C'est vrai, c'est vrai, le système de l'éducation est efficace pour ceux qui sont déjà favorisés socio-culturellement, mais pas pour les autres. C'est vrai, il faut fixer des règles claires et des valeurs partagées plutôt que se mettre à genoux devant le terrorisme de la violence et de l'inculture. C'est vrai, les pédagogues du système ronronnent dans leur inadéquation kafkaïenne. C'est vrai mais quand tout le monde hurle dans le même sens, quand le réac devient politically correct, ça donne envie de prendre la position opposée.
    Par exemple, de rappeler que la violence dans les écoles, ce n'est pas neuf. Tenez, je vous parle de mon adolescence. C'était dans une petite ville de 10'000 âmes, un milieu presque rural. Pas de banlieue, des immigrés en dose homéopathique et venus des pays proches. On était dans les années 70. Les années flower power. Les slogans étaient à la paix, à l'amour, à la non-violence.
    Et qu'est-ce qu'il se passait, dans la cour de récréation ? Phénomènes de bandes identitaires (ceux de telle vallée, de tel village ou de tel quartier), violences, rackets, admiration pour la force, leaders auto-proclamés exerçant une influence prépondérante tels de petits mafieux entourés de leurs troupes... Et dans les classes, des petits chefs qui  provoquaient les maîtres (« Mais faut pas vous exciter. Maintenant, vous vous calmez ! Eh, les autres, vous laissez parler le prof. »). Chahuts quand c'était le vieil enseignant de math, celui qui voulait nous intéresser aux échecs et qui nous en causait avec des trémolos dans la voix. Projets collectifs contre la nouvelle maîtresse  (« Aujourd'hui, on la fait pleurer ! »)
    Il ne faut pas idéaliser le passé. La violence dans les écoles, c'est intolérable mais ce n'est pas neuf. Ce qui a changé aujourd'hui, c'est qu'elle est démonstrative, affichée. Elle fait partie de la panoplie d'une certaine jeunesse comme un signe valorisant. Et le fait que ses manifestations soient exhibées par la presse de boulevard sous prétexte de dénonciation n'améliore pas les choses.
    Qu'est-ce que vous voulez, la violence croît quand les disproportions sociales sont odieuses, comme aujourd'hui, quand la tendance est à l'égoïsme, au rejet et au repli, comme aujourd'hui, mais fondamentalement, c'est structurel. A l'école, un maître, des élèves, du pouvoir en jeu, c'est comme ça, et s'il faut s'interroger, c'est sur la structure de ce pouvoir-là et sur sa légitimité...
    Bon, je me calme. Je vous parle de Festins secrets un autre jour.