• Fabrice à Waterloo

    La bataille de Waterloo
    Au début de La Chartreuse de Parme, Fabrice del Dongo est un jeune niais ignorant, susceptible et insolent, qui a bien de la chance, pour pouvoir s'en sortir, d'être riche et de plaire aux cantinières. Enfant de son siècle, il court après quelques rêves contemporains. Voir Napoléon, participer à une bataille. Il ne recherche même pas la gloire mais veut réaliser un concept. « Se battre. » Ce qui implique pour lui un affrontement physique, face à face.
    On le voit bien quand, après avoir suivi l'escorte du maréchal Ney toute la journée, puis celle de son père biologique dont il ne connaît d'ailleurs pas le rôle, après avoir passé au travers des boulets de canon et de la mitraille, il ne croit pas encore s'être battu. Il lui faudra deux blessures, au bras et à la cuisse en gardant un pont pendant la débâcle, pour qu'une preuve lui soit donnée.
    Tout ça est dérisoire et ironique : se battre, ce concept si glorieux, c'est finalement pour Fabrice, échouer dans la mission qu'on lui confie de rallier les cavaliers, se couvrir de honte en se faisant humilier par ceux qu'ils devraient arrêter et se faire estropier par ceux qu'il venait aider : les Français eux-mêmes.
    Tout d'ailleurs, dans cet épisode de Waterloo est absurde. Ces galops de généraux qui semblent errer au hasard sur le champ de bataille, ces soldats que rencontre Fabrice, et qui semblent livrés à eux-mêmes, ce chacun-pour-soi de la retraite. Et jusqu'à cette rencontre entre Fabrice et son père, qui ne se reconnaissent pas.
    C'est un hasard extraordinaire, mais insensé. Comme tout dans cette bataille telle que la décrit Stendhal.
    Et ce qui donne plus de relief encore à cette représentation, ce sont les abondantes analyses stratégiques qu'on a des batailles de Napoléon, qui paraissent généralement de grandes machines ordonnées, agencées, conduites par un génie supérieur, et répondant à sa volonté. Ou encore, par contraste, la description par Hugo de la même affaire.
    J'ai encore ça dans la mémoire. Des images fortes, le chemin creux où les cavaliers qui chargent tombent, se piétinent et s'entassent jusqu'à ce que le trou soit plein et que les suivants traversent sur les premiers, l'arrivée de Blücher, et cette impression de plan génial qui ne fonctionne pas. J'ai lu ces pages pendant mon adolescence. Dans Les Misérables peut-être ?

    Stendhal, La Chartreuse de Parme