• Edmond de Goncourt, Alphonse Daudet, Emile Zola

    Il y a deux auteurs dont parle beaucoup Edmond de Goncourt dans son Journal (j'en suis à l'année 1885). Deux auteurs qui ont un succès gigantesque à l'époque.
    Le premier est Daudet, dont on ne connaît plus aujourd'hui que deux créations. Sa fameuse chèvre, celle de Monsieur Seguin (vous savez : Les Lettres de mon moulin). Et Tartarin de Tarascon, le type du vantard méridional.
    Daudet, c'est l'ami, chez qui Edmond mourra, beaucoup plus tard. Daudet qui se confie à lui, qui accepte ses conseils, qui l'écoute quand il s'agit de refaire quelques scènes d'une pièce de théâtre (Sapho) et lui rend hommage en public de ses recommandations.
    L'autre auteur à succès est Zola. Qu'Edmond rencontre régulièrement, puisqu'ils font partie du même milieu. Ils forment avec beaucoup d'autres la cohorte des naturalistes, opposés à l'Académie. Voyez pour illustration le dessin d'Emile Cohl à gauche, qui avait été publié dans le Charivari et représente "le roman en 1886". Devant, de gauche à droite, Zola, Goncourt, Daudet, Maupassant, Bourget et Huysmans.
    Zola que Goncourt ne cesse de dénigrer. Zola toujours grognon, revêche, prétentieux, arrogant, désagréable. Zola qui, affirme-t-il, lui vole systématiquement ses idées, ses scènes, ses thèmes, ses théories, ses caractères, qui pille ses livres pour faire les siens (mais il n'est pas le seul : Edmond accuse aussi Feuillet, Bourget, etc.) Zola à qui il ne cesse de se comparer.
    C'est à son désavantage, sans doute, en ce qui concerne l'audience, mais Goncourt se vante naïvement que toute la jeunesse est pour lui, et l'étranger aussi, que le vrai théâtre moderne, c'est lui et Daudet mais surtout pas Zola dont les transpositions à la scène ne valent rien, que Zola a un style de manœuvre, bien inférieur au style artiste qu'il a inventé avec son frère...
    C'est une véritable lutte pour savoir qui est le père du naturalisme, sa figure tutélaire. Et Goncourt n'est pas sûr de la gagner. Il est obsédé par l'idée de transmettre son nom à la postérité. Pathétiquement, il avoue qu'il l'écrit, ce nom, sur toutes les œuvres de sa collection d'art. Qu'au moins, elles portent son souvenir après sa mort.
    Il compte un peu aussi sur ses textes de fiction et de recherche. Il a tort. On ne lit plus ses romans agaçants d'afféteries, précieux à force justement de style artiste, pas plus qu'on ne consulte encore ses ouvrages d'histoire.
    Ses deux dernières cartes sont les bonnes. Le journal et l'institution qui va répondre parfaitement à ses attentes, une académie chargée de décerner le Prix. Le fameux Prix. Opposé à celui de l'Académie française. Qui a eu des hauts et des bas, mais qui s'est rattrapé de toutes ses approximations en couronnant cette année un roman extraordinaire. Je veux parler, il est inutile de le rappeler (j'adore cette figure de prétérition), du livre de Jonathan Littell. Les Bienveillantes.
    Un roman-ci qu'on ne pourra pas dire que je n'ai pas vanté  ici (et ici, et ici).