• Marie Gaulis, Lauriers amers

    Les faits, d'abord. En 1978, Louis Gaulis, écrivain genevois, est en mission pour le Comité international de la Croix-Rouge au Liban. Il fait venir sa famille qui vit à Beyrouth. Un soir, à Tyr où se déroule sa mission, quand il rentre dans ses quartiers, il y a des tirs dans la nuit, un accident, et Louis Gaulis meurt, le crâne fracassé.

    Sa fille, Marie Gaulis, qui avait 13 ans au moment des faits, revient sur ces événements. Ils deviennent la source de son livre Lauriers amers.

    Son texte est une méditation sur son père, sur la mort, et une manière de faire enfin le deuil, 30 ans après. Il est également un reportage: Marie Marie GaulisGaulis retourne au Liban en avril 2005, elle décrit son voyage, ses sensations, parle des paysages et des gens, rédige un carnet de route daté jour après jour.

    Le livre est enfin une enquête. Il y a en effet des circonstances encore obscures dans cette affaire. Voici la version officielle:

    Louis Gaulis rentre le soir dans ses quartiers au volant de sa voiture de fonction bien reconnaissable. Il y a des tirs. Deux balles touchent son pare-choc. Probablement a-t-il passé à faible vitesse près d'un check-point improvisé qu'il n'a pas vu. Louis Gaulis accélère et se penche sur le côté pour éviter de prendre une balle. Il perd le contrôle de son véhicule qui heurte un mur à pleine vitesse. Comme il ne porte pas de ceinture de sécurité, son crâne heurte le tableau de bord et explose. Il meurt sur le coup. On ne sait pas quelle faction a tiré les coups de feu, le CICR pour éviter les complication ne demandant pas une enquête complémentaire.

    Mais cette version, Marie Gaulis n'y croit pas, ne veut pas y croire. Malgré les communiqués officiels, les relevés des experts et des médecins, le rapport d'autopsie, elle est persuadée que quelqu'un a tiré directement sur son père, soit pendant qu'il roulait, soit après l'accident, et que la balle lui a éclaté le crâne.

    Cette croyance est un des points les plus intéressants du livre, en ce qu'il nous révèle sur l'auteur, sur son rapport avec son père, sur l'image qu'elle a de lui. Il lui est impossible de penser que c'est une erreur de sa part (rouler trop lentement, ne pas s'arrêter après les tirs et décliner sa fonction comme la procédure le veut, perdre le contrôle de la voiture...) qui est à l'origine de sa mort. Il faut que quelqu'un d'extérieur, quelque chose d'autre l'ait tué. Un tireur fou, une balle perdue... Quelque chose qui ne soit pas une défaillance personnelle mais une action du destin.

    Non qu'elle veuille transformer son père en héros. Mais le chagrin est tellement fort, 30 ans après encore, qu'il faut trouver une force extrinsèque et mystérieuse pour expliquer cette perte.

    Et cette obsession est l'aspect sans doute le plus émouvant du livre.


    Marie Gaulis, Lauriers amers, Editions Zoé