• L'arc-en-ciel de la gravité, parThomas Pynchon

    Lancement d'un V2 à PeenemundeQuand je disais (ici) que je m'étais mis en immersion dans L'arc-en-ciel de la gravité, ça représentait assez l'impression que j'avais au début du livre. Une plongée singulière dans une maelström de mots, de noms, de flashs, de morceaux narratifs, de théories, d'allusions, de digressions...
    Le lecteur là-dedans se retrouve hébété, perdu, tentant de se raccrocher à une logique qui se dérobe souvent, tant le centre de cet ensemble éclaté est difficile à trouver. Enfin, au fil des pages, le puzzle se constitue un peu.
    La première partie, En dessous de zéro, commence vers la fin de la deuxième guerre mondiale par le réveil d'une chambrée de militaires, nourris aux bananes par Pirate Prentice qui les fait pousser sur une serre. En les cueillant ce matin-là, Pirate voit, de l'autre côté de la manche, en Hollande je crois, décoller un V2 dont le soleil levant fait briller la trace condensée.
    Et voici le premier thème important du livre. La fusée.
    Une masse de personnages apparaissent ensuite. Beaucoup sont liés à un centre où des chercheurs militaires bizarres pratiquent la parapsychologie, la voyance, le channelling, font des expériences sur une pieuvre ou des chiens. Parmi eux, Pointsman, disciple de Pavlov, qui travaille sur le conditionnement. Conditionnement, deuxième thème. Lié à un troisième, le déterminisme, ici plus précisément la prédestination calviniste.
    Le héros, remarque-t-on bientôt, est un Américain nommé Slothorp. Sa caractéristique est d'avoir des érections dans les endroits de Londres où tomberont quelques jours plus tard les V2. La carte qu'il tient de ses émois sexuels, avec des étoiles, se superpose exactement à celle que le statisticien Roger Mexico, adepte des théories de Poisson, tient sur la chute des fusées.
    Or, on apprend que tout bébé, Slothorp a été conditionné par un savant, lequel est lui-même lié aux V2.
    Ça commence à prendre forme, non ? Et ce n'est que la première partie, les 180 premières pages. Partagées, disent les érudits, en autant de parties que les cartes du tarot (le destin, humm ?) et sans doute savamment composées. Peu importe. Le lecteur moyen (c'est--à-dire moi) s'en fiche.
    Il suit, sidéré, sonné, ces giclées de mots, emporté par le dynamisme noir de Pynchon, son savoir, sa langue, son sens du jeu, de l'extravagant, déboussolé souvent, mais jouissant de superbes moments de lecture. Ne comprenant pas tout, évidemment.
    Mais ça, ça n'a pas d'importance. Je suis de ces lecteurs qui acceptent facilement d'être débordés, perdus même, si je sens que je suis dans quelque chose d'important, et qui compte littérairement.