• Les Caves du Vatican, par André Gide

    André GideJ'avais lu dans mon adolescence ce roman, ou plutôt cette sotie, comme le disait Gide très attentif aux définitions, (Une sotie est  une pièce politique, d'actualité, jouée par les confréries de la fête des fous.)
    Il m'en restait quelques vagues choses. Lafcadio, l'acte gratuit...
    Je l'ai relu d'une traite. Amusé, intéressé, poussé vers l'avant par cette écriture qui manie avec délices la parodie, l'humour noir et le comique de situations.
    On est en 1890, période du grand combat entre le Vatican et les francs-maçons. Ces deux ennemis sont à couteaux tirés. Gide illustre cette bataille avec deux personnages. Anthime Armand-Dubois d'abord,haut dignitaire de la loge, scientifique, anti-clérical et boiteux, qui, après que sa nièce a prié pour lui, brise par protestation la main d'une statue de la Vierge et la voit apparaître la nuit dans sa chambre, qui de son moignon le guérit.
    Un miracle. Il se convertit donc avec éclat. L'Eglise l'utilise pour sa propagande puis le laisse tomber. Il perd alors toute sa fortune qui était gérée par la loge, accepte son sort misérable avec une humilité et une résignation de saint qui mettent en rage son beau-frère.
    Cet écrivain catholique ne trouve pas ça bien nécessaire et fera, lui, une conversion inverse après avoir rencontré le pape et avoir été refusé à l'Académie française.
    Heureusement, à la fin du livre, tout rentre dans l'ordre.
    Il y a une série d'autres protagonistes amusants dans ce texte à la structure complexe et rigoureuse sous sa fantaisie. Des quantités de personnages irrésistibles ou inquiétants. Des jeunes gens sans scrupules, des bourgeois bouffis de préjugés, des prostituées, des provinciaux coincés, des arnaqueurs qui dépouillent les riches catholiques en leur faisant croire que le pape est prisonnier dans les caves du Vatican. Des personnages qui ont plusieurs faces, qui se transforment, se griment.
    Et au centre du livre, on trouve le fameux acte gratuit, qui vient de Dostoiewski et de Nietsche.
    Lafcadio fait le bien et le mal avec la même désinvolture, se conduit en héros ou en voyou selon son bon plaisir, sauve des enfants d'un incendie ou tue un inconnu. Par défi à toutes les conventions. Par amour de la liberté.
    Mais le voilà, en fin de livre, rattrapé par son crime, poursuivi par lui. Se demandant s'il doit se dénoncer.
    Le fera-t-il ? Suspense (ça se termine comme ça, alors qu'il vient de passer une nuit d'amour avec sa nièce).
    Immoral ? En tout cas iconoclaste. Contre les bien-pensants de tous bords. Montrant que la société est remplie d'imposteurs qui se jouent parfois eux-mêmes. Attaquant toutes les croyances au nom d'une liberté personnelle mais semblant la borner tout de même à la liberté des autres, et à des actes dont on doit, de toute façon, assumer les conséquences.

    André Gide, Les Caves du Vatican, le livre de poche