• Céline: Le Voyage en Afrique

    affiche colonialeOn me trouvera peut-être un peu obsédé mais quand même, la question est d'importance pour les bien-pensants que nous sommes. Comment un raciste affiché, qui a déployé l'éventail talentueux d'une haine hystérique dans des pamphlets publiés en plus sans courage, quand la cible était à terre, comment ce type-là peut-il être l'un des plus grands écrivains jamais nés?

    Ou plutôt, en renversant le problème, on se voit constamment forcé de justifier l'importance de l'auteur malgré les bassesses de l'homme, et la question du racisme revient toujours à un moment ou l'autre.

    Dans Le voyage en tout cas, pas trace de ça, ou si peu. Quand Bardamu est en Afrique, il voit plutôt les colonisateurs comme des ordures, et les noirs comme des victimes. Rien en lui de la mission civilisatrice et organisatrice de l'Europe, ces vieilles lunes toujours renouvelées.

    Les colons sont tous des voleurs et des salauds, ça au moins c'est clair. Et les Africains? Partagés en deux, comme on le voit quand une famille de la brousse vient vendre un stock de caoutchouc conséquent à un marchand blanc, et qu'elle se fait voler et humilier en plus. Les noirs devenus commis, qui ont rejoint les profiteurs, sont pire qu’eux. Les autres appartiennent à la grande fraternité des pauvres, des soumis, des humbles, des misérables. Qu'ils soient noirs ou blancs n'importe pas.

    Magnifique histoire de décomposition, d'ailleurs, que ce séjour de Bardamu en Afrique, où tout se désintègre jusqu'au délire final: le héros est vendu comme galérien, esclave, fers aux pieds, à ramer. Il se retrouve miraculeusement à New York, après un voyage anachronique. Mais, quoi, c'est de la littérature.