• Céline et Proust

    Manuscrit de Proust
    Manuscrit de Céline

















    1ère page du Voyage au bout de la nuit            Dernière page du Temps retrouvé

    Résultat final de la course littéraire, section lettres françaises du XXème siècle. On s'arrache les cheveux devant la photo-finish. Il y a deux gagnants qu'on n'arrive pas à départager.
    On a beau pour essayer de trancher les jucher sur des podiums construits en empilant biographies et ouvrages critiques à chacun consacrés, impossible de voir qui est finalement le plus haut
    A ma gauche, Marcel Proust. A ma droite, Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline. Lequel est le premier? Lequel le plus grand?
    On se dispute. On jauge les oeuvres. On fait s'affronter la littérarité de l'un et l'oral que l'autre a introduit dans l'écrit. On glose sur leurs origines sociales dissemblables. Leurs existences contraires. Leurs idées, leurs goûts, le caractère volontaire ou imposé de l'isolement dans lequel ils ont fini tous deux par écrire.
    Décidément, on n'arrive pas à savoir lequel aura le privilège d'orner la couverture des manuels de l'avenir destinés aux collégiens. « XXème siècle français, l'âge des convulsions ».
    Dans ce combat, Céline a pourtant quelques casseroles parce qu'entre 1936 et 1941, il a écrit quatre pamphlets que personne ne lit plus puisqu'ils ne sont pas republiés. Pas par censure. A cause de la volonté de sa femme, Lucette. Des pamphlets qui paraît-il (je ne les ai pas) sont de la dynamite.
    Céline y exprimerait sa haine du communisme, un antisémitisme quasiment névrotique et finalement, sous l'Occupation même, des opinions très favorables aux nazis.
    La disparition de ces textes laisse le champ clos aux suppositions et aux rumeurs. Certains y ont admiré la création verbale, l'inventivité dans l'invective, le souffle épique. Des thuriféraires ont minimisé leur portée idéologique.
    De toute façon, disait ultérieurement Céline qui se posait en victime, il n'était pas un homme à idées mais un « homme à style ».
    On s'en aperçoit dans ses romans. Un style si particulier qu'il est impossible de l'imiter sans le pasticher. Chaque phrase de lui est reconnaissable. La langue et la grammaire rendues plastiques par les richesses des tournures populaires, par les trous des fameux points de suspension, par le lyrisme émotif, donnent à son écriture une beauté hypnotique.
    Ce travail sur la langue a commencé dès son premier roman. Le célèbre « Voyage au bout de la nuit », un texte semi-autobiographique. Son double, Ferdinand Bardamu, y raconte la guerre de 14 (où Céline, engagé volontaire, a été grièvement blessé), les voyages en Afrique et en Amérique, la médecine, que le docteur Destouches pratiquait à Clichy, puis à Meudon.
    Tout est travaillé selon une célèbre méthode: prendre le réel en le noircissant. Le lecteur se retrouve ainsi dans un monde épique, lyrique, burlesque, peuplé de personnages épinglés par un regard de caricaturiste, mais aussi profondément humain. Un monde où l'ennemi, c'est l'argent qui agit comme un cancer de l'âme.
    Un monde qui, comme celui de Proust, est autonome, individualisé, et paraît finalement plus profond, plus puissant, plus riche et plus réel que le vrai.