• Cachez-moi ça !

      Les mendiants, par Bruegel
    Enfin, on travaille à régler le problème des Roms à Genève ! C'est vrai, quoi, c'était insupportable ! Ces pauvres qui ont l'outrecuidance de venir nous rappeler qu'ils meurent de misère chez eux. Qui s'étalent devant les magasins où nous avons lutté pour arracher quelques colifichets de la dernière mode H&M ou devant les banques où nous avons retiré quelques centaines de francs pour nos dépenses et nos menus frais. Et il faudrait leur donner encore une piécette ?
    Qu'on les ôte de là ! Qu'on les fasse disparaître ! Bien sûr, ce ne sont pas des malfaiteurs, je le reconnais, ils n'ont rien à voir avec le crime organisé, ce sont juste des pauvres, mais enfin, ils sont visibles ! On ne peut pas les rater ! Avec leurs vieux habits démodés et élimés qui s'accumulent sur eux en épaisses couches contre le froid, leurs dégaines, leur têtes bizarres. On comprend pourquoi, chez eux, en Roumanie, ils sont discriminés, pourquoi personne ne veut leur donner du travail, pourquoi les policiers les persécutent.
    Chaque fois que je les rencontrais, tenez, j'avais mal au cœur. Une envie de vomir et une sorte de... oui, de culpabilité. Heureusement, ce sentiment si désagréable va disparaître. La police fait le nécessaire. On leur rend la vie difficile. On les contrôle, on les force à passer la nuit dans des abris, pour leur bien, pour leur santé, et puis après dix nuits, ouste ! Rentrez chez vous !
    Grâce à ces petit tracas qu'on leur fait, ils disparaîtront. Ils ne résistent d'ailleurs pas. Ils ont l'habitude de se faire chasser de partout. Et bientôt, enfin, quand ils comprendront que ça ne sert à rien de venir ici, qu'ils seront embêtés, vérifiés, qu'ils s'endetteront encore plus parce qu'ils ne gagneront même pas de quoi se payer le bus du retour, bien fait pour eux, ils se rendront compte. Notre message n'est pas difficile à comprendre. Au contraire. Simple, clair, affirmé : nous ne voulons pas de vous, ne venez pas !
    Les riches, si, tous, de tous les coins de la planète ! Débarquez, arrivez, on vous fait des avantages fiscaux, on vous aime, on vous admire, on vous vénère. Vous êtes nos dieux, nos saints, nos modèles. Nous aimerions tellement être comme vous. Vous sentez bon, vous nagez dans le  luxe, vous passez à la télé, vous nous faites rêver. Vos petits problèmes nous émeuvent. Vos séparations, vos excès, l'éducation de vos enfants. Ce que vous mangez. Vos vacances à Saint-Barth. Tout nous intéresse. Nous nous prosternons devant vous. Ah ça, qu'est-ce que nous pouvons vous aimer, les riches !
    Mais les misérables, non ! Pas eux ! Qu'ils nous épargnent leur vue ! Ils peuvent bien vivre tranquilles, nous ne leur souhaitons pas de mal, mais loin, dehors, ailleurs !
    Qu'ils cessent de heurter notre sensibilité. Qu'ils arrêtent enfin une bonne fois pour toutes de nous donner mauvaise conscience !

    (Publié aussi dans Blogres.)