• Blaise Cendrars, Raymone Duchâteau, correspondance

     

    « Laurence est venue ce matin malade parce qu'elle a cru rencontrer des terroristes. »

     

    C'est Blaise Cendrars qui annonce la nouvelle à sa muse, son amour mystique et platonique, Raymone Duchâteau. On est en juin 44. Terroriste est une désignation officielle des Forces d'Occupation pour désigner les résistants. La propagande est très active, et Cendrars est obligé d'utiliser les termes officiels s'il veut que ses lettres et ses cartes presque quotidiennes arrivent à Paris depuis Aix où il s'est réfugié.

     

    Non que d'ailleurs, Cendrars approuve les résistants. S'il déteste l'occupant allemand, les « boches », il attend le débarquement avec crainte, persuadé que ça va plonger le pays dans le chaos et occasionner de nombreuses morts civiles.

     

    Il ne faut pas rendre les écrivains plus purs qu'ils ne l'étaient. Jérôme Meizoz rappelait récemment (Saintes colères, éditions d'autre part) que Cendrars était antisémite et pas particulièrement de gauche. Quand on examine les opinions, il faut tenir compte de l'époque, évidemment, mettre en perspective. Mais ce que Meizoz dénonçait, c'est une purification de Cendrars par ses héritiers, qui veulent en gommer les aspects qui déplaisent à notre temps et en faire une figure idéale.

     

    Contre cette statufication, ces lettres publiées par Zoé nous montrent heureusement l'écrivain dans son quotidien. Craignant le débarquement, donc, prévoyant un nouvel exode sur les routes, puis soulagé parce que l'arrivée des Américains se passe bien. « Un miracle. » Mais aussi préoccupé par la nourriture qu'il absorbe, les restaurants où manger, l'argent qui ne vient pas, etc.

     

    Si en général, Cendrars répète avec constance dans ses lettres et cartes qu'il n'y a absolument rien à signaler, celles-ci provoquent tout de même un grand intérêt chez le lecteur qui apprécie ses œuvres. C'est la période où il se remet à écrire après le mutisme provoqué par la défaite française. Il a un grand projet dont il parle inlassablement à Raymone. La carissima, un livre sur la vie de Marie-Madeleine. Ce projet les relie. Mais Cendrars ne le fera jamais. Ce qui l'intéresse, dont il ne parle quasiment pas à l'aimée, c'est L'Homme foudroyé.

     

    Curieuse relation, celle de Cendrars et sa correspondante dont presque toutes les lettres sont détruites. Ça fait un quart de siècle qu'il éprouve une passion pure pour cette comédienne spécialisée dans les rôles de sottes. Elle ne voulait d'abord pas de cet infirme « pouilleux », puis lui a proposé une relation platonique, à lui qui a eu tant de femmes. Une troisième personne est arrivée dans la relation, la mère de Raymone, « Mamanternelle », avec qui Cendrars a habité pendant quelque temps à Aix.

     

    Blaise et Raymone se marieront en blanc en 1949. En blanc. Oui. « Parce que », dit Raymone à Michel Bori qui l’interviewe pour la Radio Suisse Romande en 1977 (elle a 81 ans), « je trouve que c'est la chose la plus ignoble du monde, de pouvoir vivre physiquement avec un être si on ne l'aime pas. »

     

     

     

    Blaise Cendrars, Raymone Duchâteau, correspondance, 1937-1954, Editions Zoé