-
Patrick Modiano, Livret de famille,
On a parfois l'impression rétrospectivement que Patrick Modiano n'a travaillé que sur son histoire. En réalité, il n'a publié que deux livres strictement autobiographiques. Un Pedigree et Livret de famille.
Ce dernier est composé de 14 récits discontinus. Des souvenirs réels parfois légèrement transposés. Par exemple cette chasse à courre à laquelle il est amené à participer. D'autres récits sont plus ambigus. Je me demande par exemple quel est le statut du texte où il parle du roi Farouk, qu'il appelle le Gros. Le monarque déchu réfugié en Italie est tombé amoureux d'une strip-teaseuse que connaît le narrateur et qu'il rencontre grâce à elle, avec qui il passe la soirée de Saint-Sylvestre.
Evidemment, il y a partout une forte présence du père, ce personnage louche, juif sans passé, compromis pendant la guerre, pratiquant le marché noir, vivant sous une fausse identité, libéré par quelqu'un de la Gestapo alors qu'il a été pris dans une rafle, et dont Modiano s'est toujours interrogé sur les compromissions et les trahisons. Cet homme mystérieux qu'il refusera de revoir dès qu'il aura 17 ans, et qui, toute sa vie, fera des affaires dont son fils ne saura rien.
Présence de sa mère aussi, Luisa Colpeyn, petite girl de music-hall qui deviendra actrice. Et arrivée de sa petite fille, qui clot le livre. Pas Marie Modiano, la rockeuse. Zina. Elle avait un an quand il a fini le texte et « elle n'avait pas encore de mémoire ».
La fameuse mémoire modianesque, attentive, en proie au soupçon, qui découvre des indices, induit des hypothèses. Mémoire policière grâce à laquelle le narrateur passif, subissant, peut ressaisir quelque chose de sa propre histoire qui lui échappe.
Et puis on est obligé d'évoquer la fameuse petite musique de Modiano, qui consiste notamment à lancer des phrases, à en accélérer le rythme puis à les interrompre avant qu'elles ne retombent.Patrick Modiano, Livret de famille, Folio