• Ananda Devi, Jean Rouaud et la littérature-monde

    La Maison de la littérature organisait hier une rencontre avec Ananda Devi et Jean Rouaud, deux auteurs du manifeste Pour une littérature-monde. A St-Gervais, au deuxième sous-Ananda Devisol. Sièges rouges en gradins, tables avec micros pour les intervenants présentés par Sylviane Dupuis, rideau rouge derrière eux. 25 personnes dans la salle dont trois sont parties en cours de rencontre.
    Bref, on ne peut pas dire que la littérature attire du monde.
    Pourtant, il y avait une star. Jean Rouaud. Prix Goncourt pour Les Champs d'Honneur.
    Ça a commencé avec Ananda Devi. Mauricienne qui aborde, explique Sylviane Dupuis, la question de l'identité, du passage d'une culture à l'autre, qui travaille sur le thème de l'insoumission avec des personnages aliénés. Sa littérature veut « apprendre à vivre plutôt que subir la vie. » Dans son œuvre, on trouve prostitution, révolte d'une femme indienne, rejet par son village d'une Africaine au bec de lièvre, et des affleurements de créole et d'hindi.
    Ananda Devi nous en lit quelques extraits. On s'aperçoit tout de suite que c'est une sensible. Tout ça est très triste. Des ados qui souffrent et découvrent Rimbaud. Un écrivain qui a essayé de se pendre. Que du malheur !
    Jean RouaudRouaud exprime ses impressions : « Une langue extrêmement poétique pour dire l'extrême misère ». Une volonté, en tout cas, de rendre mal à l'aise le lecteur, de le faire non pas compatir à la souffrance, mais la ressentir.
    Rouaud garde la parole et lit un peu de son Préhistoire. Dans une société paléolithique, un estropié bossu inapte à la chasse, mais que la tribu garde malgré tout, invente l'art. Un autoportrait, dit Rouaud, amusé.
    On passe à la troisième partie. La présentation de Pour une littérature-monde.
    La littérature française, constate Rouaud, c'est les Blancs. C'est-à-dire les Français avec en plus des gens comme Nancy Huston (Canadienne) ou George Semprun (Espagnol). La littérature francophone, elle, c'est les Noirs et les arabes. Or, il y a là-dedans un autre imaginaire, qui n'est pas sorti de Balzac. D'où l'idée de détacher le français de l'Etat français et de cette organisation qui s'appelle la Francophonie, de créer une littérature-monde à la place, qui englobe tous ceux qui écrivent en français.
    Ananda Devi donne un exemple. Elle se plaint que quand on l'interroge, on parle aussitôt de son statut d'Indo-Mauricienne. Détail amusant et paradoxal : elle est quasiment en costume folklorique.
    Sylviane Dupuis demande s'il ne s'agit pas d'une question de maisons d'édition. Non, dit Rouaud, tous les gens dont je parle publient dans des éditions parisiennes.
    Que veut-il dire ? Qu'il faut remplacer le clivage français/francophone par maisons d'éditions parisiennes/autres maisons d'édition ? Tout ça semble effectivement assez franco-français, et on s'ennuie un peu.
    Dans le dernier quart d'heure, ça devient plus sportif. Il y a deux ou trois contradicteurs. Ils défendent la Francophonie, ils se demandent si le concept de littérature-monde n'est pas post-colonialiste. Rouaud semble fatigué. On sent qu'il a répondu aux mêmes questions et aux mêmes reproches des dizaines de fois.
    Il a des mimiques et une présence qui me rappellent un écrivain genevois que j'apprécie. Marc van Dongen. Auteur notamment de Ici déluge (editions Melchior). Ce n'est pas une ressemblance physique et Marc van Dongen a 25 ans de moins, mais c'est étonnant quand même. Jusqu'au sens des formules, parfois.
    Marc, il faut qu'on aille prendre une bière ou deux dans un café de Plainpalais un de ces soirs. Qu'on discute tout ça. Rouaud est indigné parce que dans les librairies, on sépare Littérature française et Littérature francophone. Mais en Suisse, il y a en plus des petits rayons très étroits, des sortes de ghettos dans les coins avec l'appellation Littérature romande. Pour mettre en valeur nos livres ? Pour les exclure ? On en parle ?