• Alexandre Calame, Torrent des Alpes
    Il est assez intéressant de voir qu'en 18 ans, entre 1839 et 1857, entre Béatrix de Balzac et Madame Bovary de Flaubert, les rêveries ont changé du tout au tout. Nos deux écrivains sont catalogués comme réalistes, mais Balzac est né en 1799, Flaubert en 1821, et le romantisme a passé par là, imbibant le jeune Flaubert alors que Balzac est déjà formé quand celui-ci triomphe, en 1830 – puisque c'est la date que l'on cite pour situer son apogée. Le Calyste de Balzac, jeune homme qui veut la passion, est encore plein d'images du XVIIIème.
    Tenez, je cite tout le passage:
    « N' irais - je pas dans les petits chemins détournés, humides de rosée ? Ne resterais-je pas sous le ruisseau d'une gouttière sans savoir qu'il pleut, comme les amoureux vus par Diderot ? Ne prendrais-je pas , comme le duc de Lorraine, un charbon ardent dans la paume de ma main ? N'escaladerais-je pas d'échelles de soie ? Ne me suspendrais-je pas à un vieux treillis pourri sans le faire plier ? Ne me cacherais-je pas dans une armoire ou sous un lit ? Ne connaîtrais- je de la femme que la soumission conjugale, de l'amour que sa flamme de lampe égale ? »
    Face à ces rêves d'aventures galantes et ces références déjà lointaines, les évocations d'Emma Bovary et de Léon, par exemple, sont autrement XIXème siècle et pleinement (et ironiquement) romantiques:
    « — Je ne trouve rien d’admirable comme les soleils couchants, reprit-elle, mais au bord de la mer, surtout.
    — Oh ! j’adore la mer, dit M. Léon.
    — Et puis ne vous semble-t-il pas, répliqua madame Bovary, que l’esprit vogue plus librement sur cette étendue sans limites, dont la contemplation vous élève l’âme et donne des idées d’infini, d’idéal ?
    — Il en est de même des paysages de montagnes, reprit Léon. J’ai un cousin qui a voyagé en Suisse l’année dernière, et qui me disait qu’on ne peut se figurer la poésie des lacs, le charme des cascades, l’effet gigantesque des glaciers. On voit des pins d’une grandeur incroyable, en travers des torrents, des cabanes suspendues sur des précipices, et, à mille pieds sous vous, des vallées entières, quand les nuages s’entrouvrent. Ces spectacles doivent enthousiasmer, disposer à la prière, à l’extase ! Aussi je ne m’étonne plus de ce musicien célèbre qui, pour exciter mieux son imagination, avait coutume d’aller jouer du piano devant quelque site imposant. »
    Les pins, les précipices, les Alpes: il fallait bien un Alexandre Calame pour illustrer ce papier. Quant au pianiste qui joue devant quelque site imposant, je vous laisse l'imaginer, ça excitera votre imagination...





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