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Article dans la Liberté du 05.04.2014
Alain Bagnoud
Visages d’une prose nourrie à l’enfance
Thierry Raboud
Trois ouvrages très différents sortis d’une même plume. Celle
d’Alain Bagnoud, écrivain d’origine valaisanne qui sait couler
sa prose précise, nourrie aux souvenirs de l’enfance, en des
genres distincts. Le roman tout d’abord, avec Le Lynx, dont le
récit s’amorce dans le morne quotidien d’un village de
montagne. Venus de la ville il y a 20 ans, Maxime et Agathe y
vivent et font tout pour diluer cette tache identitaire. Mais la
page du passé est trop mal tournée. Le retour du quérulent
Rolf, complice des mauvais coups d’hier, accélère cette
narration efficace en rappelant le couple à ses dettes oubliées.
Lorsque, étudiants unis par une même haine des démocraties
coercitives, ils jouaient aux grands soirs en se gavant de
marxisme. Sous la férule de Rolf, les lendemains ont pourtant
déchanté en crachant le sang. Et la fuite salvatrice de devenir
le nœud de ce roman. Alain Bagnoud parvient à y distiller un
suspense stimulant, entrecoupé de pages plus mystérieuses qui
dessinent en creux le portrait d’un homme, touchant pour la
rédemption qu’il vient mendier à la nature.
Tout aussi réussis sont les portraits de Comme un bois flotté
dans une baie venteuse. Le recueil tire son titre des paroles
d’un blues de Rory Gallagher à qui est consacré le premier des
dix textes qui le composent. Dans ces petites «fictions
biographiques», l’intuition se mêle au factuel et à l’imaginaire
pour suggérer les figures de Brassens et Pessoa, mais aussi les
plus mystérieux Vital Bender ou Etienne Dumont. En ces
personnages adulés ou honnis, fantasmés ou connus, ce sont
surtout les traits de l’écrivain que l’on aperçoit en
transparence, finement tracés sous l’encre vive de ces
tableaux.
Une encre qui s’amenuise et se concentre dans les courtes
proses poétiques de Passer, élégant recueil qui ose des mots
simples pour capter au vif les reflets du «miroir de la
mémoire». La spontanéité de la plume y épouse les
mouvements d’une conscience tourbillonnant de béances
existentielles en joies minuscules de l’enfance. Comme la
quintessence d’une écriture variée qui, sans oublier d’où elle
vient, parvient à se déplier au-delà de la terre qui l’a vue
naître. I
> Alain Bagnoud,Le Lynx, L’Aire bleue, 122pp.; Comme un
bois flotté, Ed. d’autre part, 129 pp.; Passer, Ed. Miel de
l’Ours.