Qui a entendu parler de Georges Gabory
(1899-1978)? Il a pourtant été considéré
entre 1917 et 1929 comme un jeune poète brillant, promis à
une grande carrière. Il est devenu avant ses trente ans un
rouage important du milieu littéraire, lecteur chez Gallimard
où il était influent, auteur d'essais sur André
Gide, Proust, Kisling, cité dans un rêve de Breton comme
une sorte de fonctionnaire des lettres.
Puis après 1930, plus rien ou
presque. Un recueil de poèmes, Mesures pour mesures,
chez Firmin-Didot en 1981, et un recueil de souvenirs que je viens de
lire, Appollinaire, Max Jacob, Gide, Malraux & Cie, chez
Jean-Michel Place en 1988.
Pourquoi ce silence et cet éloignement
du monde des lettres? Gabory ne le dit pas. Tout au plus
explique-t-il que c'est un professeur américain, venu
recueillir ses anecdotes de retraité, en 1962, qui l'a incité
à les écrire.
On se trouve donc avec ce livre,
n'est-ce pas, dans le côté Sainte-Beuve de la
littérature. Des indiscrétions sur les auteurs, censés
permettre de mieux cerner leur œuvre, ou tout simplement destinées
à donner des aliments à notre curiosité. Le côté
people de l'écriture.
Mais enfin, c'est très
intéressant. Gabory a une plume virevoltante, il ne
s'appesantit pas, il place ses faits avec légèreté,
les émaille de bons mots et de calembours, désireux
quand même, selon ses affirmations, de restituer l'image de
cette génération au lendemain de la Grande guerre.
C'est qu'il a connu tout le monde. Apollinaire, Max Jacob, Gide,
Proust, Derain, Juan Gris, Breton, Aragon, Radiguet, Cocteau, Artaud,
Reverdy, et André Malraux dont il fut un ami vraiment proche
avant de se brouiller avec lui.
Le résultat bien sûr est
décevant et excitant. Si Gabory ne révèle rien
de fondamental, il se montre volontiers indiscret, s'intéresse
de près à la sexualité de ses amis, et suggère
deux ou trois ambivalences, chez Malraux par exemple, ou chez
Proust, qui avait une définition toute particulière des
« mauvaises mœurs ». On se sent donc un peu
voyeur ou commère en regardant ces auteurs vus par un
contemporain. Mais tout de même, l'évocation légère
de cette époque, de ces gens, de ce monde aux mœurs ambiguës,
la recréation de cette ambiance historique, c'est assez
champagne!
Georges Gabory, Appollinaire, Max
Jacob, Gide, Malraux & Cie, Jean-Michel Place, 1988.