• Adultère mode d'emploi


    Une licenciée ès lettres de mes connaissances, m'annonçant son mariage en robe blanche et avec un pharmacien, a cru qu'il fallait se justifier. « Je fais, me dit-elle en minaudant, une crise de bovarysme. » Ce commentaire a de quoi laisser perplexe. Un dictionnaire a pu me confirmer qu'effectivement, son effet était manqué. Elle voulait sans doute dire : une crise de romantisme. Peut-être à cause de la robe (rubans, fanfreluches et dentelles). Ou d'Emma, qui pour faire honneur à son prénom, veut aimer et se marier à minuit avec des flambeaux...
    Mais le bovarysme, chère amie, ce n'est pas ça. C'est une insatisfaction romanesque. 
    Relisez Flaubert. Vous y vérifierez que Madame Bovary se gorge en effet d'une imagerie romantique et se jette dans des rêveries qu'elle cherche à incarner. Quelques colifichets lui semblent le luxe du monde et elle s'endette pour ça. Un propriétaire rustaud lui sert de chevalier hardi. Un clerc falot de page transi. Tout ça parce qu'elle a l'esprit autant farci de romans que Don Quichotte. La différence est que ce sont des livres d'amour, pas de chevalerie. 
    Pourtant les résultats convergent et les deux héros ont des attitudes parallèles : confrontés au prosaïque de l'existence, ils transposent la réalité. Chacun tente de reconstituer le monde imaginaire que les romans ont créé. La morale de ces deux histoires est claire : lisez, relisez tant que vous pouvez, mais pas de mauvais romans ! Ils obscurcissent, alors que les bons éclairent.
    Oui, relisez Flaubert, chère amie. Car en effet, peut-être avez-vous de bonnes dispositions au bovarysme. Mais avant de s'engager plus avant, il est bon de se souvenir que celles-ci mènent surtout à l'adultère.
    Votre modèle se laisse assez facilement séduire par un propriétaire, qui, à peine la désire-t-il, se demande comment s'en débarrasser,et la lâche au lieu de s'enfuir avec elle. Puis un jeune clerc romantique, Léon, qui a été un amour platonique envoûtant, revient de Paris, dégourdi, pour la baiser dans un fiacre. Mais tout compte fait, près de lui, elle retrouve les platitudes de son mariage avec un ennuyeux petit mari médecin et complètement imbécile.
    Sans doute, Emma recherche-t-elle désespérément les frémissements du coeur. Mais les hommes ? Que veulent les hommes ? Flaubert semble avoir une idée assez précise là-dessus, si on en croit ses multiples allusions aux palpitations du sexe. Tout est édulcoré, question d'époque. Mais quelle quantité de symboles !
    Dans leur première rencontre, Emma et son futur mari, rougissants, cherchent ensemble, accroupis, la cravache de l'homme. Les mâles qui pensent aux dames tripotent des cannes. Emma palpitante flaire les cigares d'une beau vicomte qui les a perdus. Les cigares, d'ailleurs, surgissent toujours aux moments cruciaux...
    On sait bien que Flaubert ne pensait qu'à deux choses. La deuxième était la littérature. Je ne vous ferai pas l'injure de rappeler le fameux gueuloir, les heures d'écriture acharnées afin d'obtenir une phrase parfaite... Il ne se raccrochait qu'à ça. Son époque entière lui semblait un concentré de bêtise et d'idées reçues. 
    Ainsi, dans Madame Bovary, aucun personnage ne peut s'empêcher d'aligner des sottises. Mais c'est surtout, sachez-le bien, future épouse d'apothicaire, le pharmacien qui les concentre. Positiviste, anticlérical et grand admirateur des philosophes du XVIIIème siècle, il est le représentant de cette bourgeoisie que notre auteur détestait, et qui triomphe à la fin en recevant le comble des félicités : la croix d'honneur !
    Mais elle vaut bien, finalement, la robe blanche qui est le comble des vôtres... Pour l'instant !