•   Julie Guinand, dérives asiatiquesOn peut beaucoup admirer, ces temps-ci, dans les journaux et sur les réseaux sociaux, les poses viriles, tatouées, testostéronées, des jeunes auteurs romands qui squattent le devant de la scène littéraire. Ces beaux jeunes gens musclés prennent tellement de place qu'on en oublierait qu'il y a également des femmes talentueuses dans le mouvement de renouveau actuel de la littérature romande.

     

    Par exemple Xochitl Borel dont le livre L'Alphabet des anges fait une très belle carrière, accumulant les prix et les rééditions. Ou Julie Guinand, qui vient de sortir un livre aux éditions d'autre part, dérives asiatiques. Elle y évoque l'Orient et l'Occident, passe du Saut du Doubs à Tokyo, et propose des histoires contrastées qui interrogent les valeurs et les modes de vie avec finesse et intelligence.

     

    Une des originalités de ces nouvelles, c'est que les personnages y constituent des fonctions. Ils sont le résultat d'un lieu, d'un milieu et des valeurs qui y ont cours. Habités par des manières de voir, par des mouvements de fond qui les dépassent et qui les constituent, ils sont le produit de leur époque, d'une époque qui unit les fonctionnements alternatifs et les désirs de confort.

     

    C'est vrai pour Thomas, qui a fait ses études d'architecte à l'EPFL de Zürich. Habité par une vision d'habitation à l'échelle humaine, il construit près des Brenets un tulou, une maison traditionnelle chinoise ronde, dans laquelle il emménage avec sa femme asiatique et son fils. Thomas poursuit un rêve de développement durable et de cohabitation alternative et fraterne  Julie Guinand, dérives asiatiqueslle. Dans la plus grande incompréhension des valeurs de son épouse, qui, elle, voulait épouser un Occidental pour acquérir un mode de vie que son mari refuse. L'histoire douce-amère se termine de façon paradoxale, le tulou devenant finalement une discothèque branchée.

     

    On voit par cet exemple la méthode de Julie Guinant, qu'accentue parfois par un peu de futurisme. Ses personnages incarnent des rôles qu'ils se donnent ou qu'on leur donne. La nanny de la première histoire est ainsi singulièrement représentative : c'est un robot avec toutes les fonctions adéquates, l'individualité comprise. Même quand ils sont fortement particularisés, (par exemple un artiste alternatif devenu célèbre grâce à une installation de sable et de fil de fer barbelé, repéré par un promoteur et collectionneur important), ils représentent les divers mouvements d'un siècle dont ils interrogent et mettent à nu les mécanismes.

     

    Tout l'intérêt de l'écriture est là, dans ce regard tendre, neuf, sensible et lucide sur des valeurs qui habitent les gens et les isolent dans leur bulle, de sorte qu'ils sont souvent manipulés par ce qu'ils croyaient maîtriser. Un décalage qui est redoublée par l'écart des valeurs entre l'Asie et l'Europe, deux continents pris dans des mouvements sociaux de fonds.

     

     

     

    Julie Guinand, dérives asiatiques, éditions d'autre part

     






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