• L’affaire Giroud, une histoire valaisanne?

     

    SAMEDI 13 JUIN 2015 Anne-Sylvie Mariéthoz

    PORTRAIT • Dans «L’affaire Giroud et le Valais», Alain Bagnoud chronique les péripéties judiciaires de l’encaveur valaisan, tout en essayant de cerner ce qu’elles révèlent sur ce canton.

    Au fur et à mesure que le feuilleton Giroud Vins SA rebondissait dans la presse depuis fin 2013, une question taraudait le public: ces affaires auraient-elles pu se passer ailleurs qu’en Valais de la même manière? Une question qui avait tout pour captiver le romancier Alain Bagnoud, issu d’une famille de vignerons, qui a fait de l’identité valaisanne l’un de ses thèmes de prédilection. Or plus il recueillait d’informations sur le sujet, plus il comprenait que «l’imagination, dans ce cas-ci, serait moins forte que la réalité». L’écrivain a donc pris le parti de raconter simplement le fil de cette histoire, «devenue presque illisible sous les points de détails, les arguties et les chicanes».
    Alain Bagnoud retrace ainsi une histoire d’ascension et de chute, animée par une galerie de personnages hauts en couleur, à commencer par sa figure centrale, Dominique Giroud. Lequel a voulu jouer un rôle d’envergure et s’est démené «pour peser sur la vie publique», souligne l’auteur. A cet égard, il rappelle trois affaires où notre homme s’est illustré comme défenseur de la moralité publique dans la droite ligne préconisée par l’Eglise d’Ecône: les affiches anti-avortement (1997), les cartes postales xénophobes (2000) et enfin la pétition anti-Gay Pride (2001). Mais ce dernier épisode est une telle déconvenue pour Giroud qu’il le convainc peut-être de consacrer son énergie aux affaires et d’adopter désormais «un profil politique bas», avance Alain Bagnoud. Il en garde toutefois une animosité tenace envers les médias qui se manifestera à d’autres reprises, note l’auteur.

    «Une fortune vite gagnée»
    S’ouvre alors le récit de l’ascension vertigineuse de Dominique Giroud dans le secteur viti-vinicole, accompagnée d’une politique de rachats effrénée, que les autres vignerons observent avec incrédulité. Il faut, confie l’un d’eux, «soit comprendre que nous sommes tous des crétins, soit postuler que beaucoup d’argent a été mis à disposition de Giroud dès le départ». On chuchote parmi les gens de la profession que les ressources du bonhomme sont à chercher du côté de ses fréquentations religieuses. Sans écarter cette hypothèse, Alain Bagnoud détaille plusieurs autres pistes. Il montre que Giroud s’est imposé sur le marché en recourant à bien des pratiques illicites, telles que: coupage, assemblages excessifs, trafic de raisin «au noir», sans oublier la soustraction fiscale. A noter que l’entrepreneur a créé toute une nébuleuse de raisons sociales qui lui servent en partie à dissimuler ses tours de passe-passe. Pourtant, «malgré la répétition des infraction [dénoncées] entre 2006 et 2008, malgré leur variété», ces dossiers finissent par être classés sans suite, relève Alain Bagnoud. Mieux: le contrôleur suisse de la commission des vins est remplacé, semble-t-il, à la suite des réclamations de l’intéressé. Un exemple parmi d’autres de la saga Giroud où les instances compétentes se montrent peu empressées à remplir leur mission.

    Trafic d’influences
    Parallèlement à sa nouvelle cave, inaugurée en 2008 et estimée à elle seule entre 15 et 20 millions de francs, l’entrepreneur s’attelle à bâtir une image de «Valaisan authentique». Il s’emploie à célébrer «les trois incarnations de la valaisannité» que sont le vin, les vaches d’Hérens et le FC Sion, analyse Alain Bagnoud, en relatant au passage quelques piquantes anecdotes sur les méthodes de l’entrepreneur-éleveur. En coulisse, notre homme continue «de nouer des connivences dans les partis politiques» et de contribuer aux campagnes «de ceux qui lui sont proches». Les conseillers d’Etat Maurice Tornay et Oskar Freysinger, bénéficient notamment de ses largesses. Et lors des primaires de 2008, quand Maurice Tornay est concurrencé par le président du PDC suisse, Christophe Darbellay, réputé plus centriste, ce sont des cars entiers qui sont affrétés – financés par Giroud – pour aller plébisciter la candidature du conservateur. C’est ce genre de «détails», qui complètent le tableau et finissent par le rendre cohérent. En un peu moins de 200 pages rédigées d’une plume alerte, l’auteur nous captive à la façon d’un roman policier. Mais il parvient surtout à rendre ce feuilleton intelligible, tout en apportant de précieux éclairages sur son contexte.

    La guerre de l’information
    A plusieurs reprises, Alain Bagnoud rend hommage à la pugnacité des journalistes – et autres bloggeurs – en saluant leur sens de l’investigation. Le dernier fait judiciaire de l’épais dossier Giroud concerne justement la presse. Au début de l’été 2014, l’encaveur sollicite l’aide d’un hacker, d’un espion et d’un détective pour tenter de localiser l’origine des fuites. Auparavant, il aura tenté à plusieurs reprises de faire interdire la diffusion de reportages sur son compte. Cette attitude est symptomatique d’un système «qui méprise volontiers les règles et les lois de la démocratie», note l’auteur. Or les affaires Giroud semblent avoir au moins montré que «l’adéquation d’un canton entier à une image passéiste et à un fonctionnement archaïque» n’est plus d’actualité. «Les Valaisans réclament de l’air (...), du droit plutôt que des arrangements», conclut l’auteur. I

     

    Alain Bagnoud, L’Affaire Giroud et le Valais, Ed. de l’Aire, 198 pages.