• Après avoir assisté, sur l'île de Ua Huka, au Festival des arts marquisiens qui réunit quatre cents danseurs et percussionnistes venus des six îles habitées de l'archipel, Blaise Hofmann écrit ses impressions qu'il publie sur son blog avec quelques photos. Il en communique l'adresse à quelques amis de là-bas qui la diffusent sur les réseaux sociaux.

    Quinze commentaires anonymes furibards suivent. On accuse l'écrivain de vouloir foutre la merde, d'écrire des conneries, de faire de l'ironie mal placée, de porter un regard d'étranger sur un spectacle fait pour les locaux, etc.

    En relatant cet épisode au début de son nouveau livre, appelé simplement Marquises, Blaise Hofmann pose immédiatement et clairement la question du statut de l'écrivain voyageur. Venu d'une culture qui lui fait observer celle des autres avec un regard particulier, ne pouvant pas plus adhérer complètement à cette dernière que s'en distancier totalement, il n'est ni un ethnologue dont le métier est de comprendre et d'expliquer, ni un moraliste chargé de juger. Il doit se situer quelque part entre les deux. Et sa raison d'être, sa raison d'écrire, c'est sa subjectivité.

    Autant dire que ce qui fait l'intérêt d'un écrivain voyageur, outre son talent, c'est sa personnalité, sa manière d'être, son regard. Et malgré ce qu'en ont dit les Marquisiens qui se sont sentis heurtés par sa façon de relater un festival chargé de recréer une identité et des traditions qui avaient quasiment disparu et qu'on a reconstitués, Blaise Hofmann trouve un ton juste et bien à lui pour parler de ce qu'il voit.

    Pourtant, il ne s'attaque pas à quelque chose de facile. Les Marquises, sujet rebattu, fantasmatique. Terre d'asile de Gauguin et de Jacques Brel, qui tirent la couverture à eux, ce qui fait dire à certains natifs fâchés que leur lieu de vie se doit d'être autre chose qu'un cimetière d'étrangers célèbres.

    Brel, l'idole de l'adolescence. Celui qui a peut-être mené Hofmann vers ces îles. Celui que les jeunes locaux ne peuvent sentir après avoir dû apprendre par cœur les vers de sa chanson. « Et par manque de brise, le temps s'immobilise... » Un Brel dont la maison n'existe plus et dont l'image orne une tombe et des restaurants. Un « étranger célèbre ».

    Il n'est pas le seul à avoir ce statut. Voyager dans ces territoires, c'est forcément se confronter à ceux qui en ont parlé, à Jack London, à Pierre Loti, à Herman Melvile, à Victor Segalen, à Robert Louis Stevenson, à tant d'autres.

    Mais un écrivain voyageur ne doit pas craindre d'affronter les visions les plus illustrées, semble penser Blaise Hofmann. Il fait ainsi le grand écart avec Estive, son succès, un livre qui se passait dans un alpage où notre homme gardait des moutons.

    Le sujet est différent mais la méthode est la même. S'il se réfère parfois à l'histoire ou aux récits d'autres voyageurs, Hofmann parle surtout de ce qu'il découvre. Parcourir ces îles le mène vers des découvertes qui tiennent à ce qu'il est. Un voyage, c'est d'abord celui qui le fait.

    Hofmann est un sportif au contact facile. On le voit marcher, beaucoup, nager, dormir dehors, vivre quatre jours sur une île déserte, rencontrer des gens qui l'hébergent, qui lui parlent, qui lui racontent leur quotidien.

    L'empathie que le voyageur éprouve pour ceux qu'il croise ne cède pourtant jamais à la complaisance. Son ironie légère est un des charmes de son écriture, concise, sans un mot de trop, avec parfois de brusques effets d'accélération et des ellipses suggestives.

    Écrire sur les Marquises, pour Blaise Hofmann, c'était une gageure, un risque pris consciemment, on le devine. À ce défi, l'écrivain tire, et très bien, son épingle du jeu.

     

    Blaise Hofmann, Les Marquises, Zoé