• Secrets de famille. Celui qui a été confié à Janine Massard il y a quelques années n'a pas dû lui déplaire. Un certificat jauni, daté de 1947 et timbré du sceau de la République française, lui a révélé que « Ami Gay père et Ami Gay fils» (c'est-à-dire son oncle et son grand-oncle) ont aidé les résistants français pendant la guerre. Tous deux, pêcheurs, ont «passé, par bateau, des armes, des médicaments et ravitaillements aux maquisards français» et «aidé des réfractaires, recherchés par la Gestapo, à passer le lac».

    Et personne n'en savait rien. Ces taiseux, gens de fort caractère, ont trouvé tout naturel de risquer leur vie pour une cause juste, puis de s'effacer sans flon-flon ni trompette. Il faut dire également que ces faits d'armes sont restés longtemps passibles de poursuites, avant que ceux qui les ont commis ne soient finalement « amnistiés ». Mais oui.

    C'est la fille d'Ami Gay fils, Josiane, cousine de Janine Massard, qui lui a apporté ce «témoignage de reconnaissance». On connaît l'engagement de Janine Massard, qui a vu dans ce sujet une manière de reprendre les thèmes qui l'intéressent. Aussitôt, elle s'est documentée, a recueilli les confidences et écrit un livre, mi-témoignage mi-roman.

    Ami Gay père et fils sont des hommes libres, qui n'ont pas d'autres maîtres que leur travail et leurs convictions. C'est une époque où la pêche se fait encore à force d'avirons. Dans leurs migrations lacustres, ils croisent des Français de l'autre rive.

    Le contact se fait lors de rencontres au milieu de l'eau. Petit à petit, tout naturellement, les Ami Gay acceptent de passer des médicaments, des armes, puis des juifs. Pas de frontière sur les eaux. Et pas de frontière dans les têtes quand on est comme eux généreux, progressistes et courageux : un courage qui se verra aussi après la guerre, lorsque le fils fondera le parti socialiste et affrontera les notables locaux issus du parti radical dominant.

    Janine Massard, critique sociale, ne pouvait pas non plus passer à côté de la condition de la femme, sujet qui lui tient à cœur. Celle-ci est illustrée par la peinture familiale des rapports entre la femme du fils et sa belle-mère, une terreur. Dans leur relation se dessinent les nœuds de l'exploitation et une prise de conscience tardive.

    Comme on le voit, il n'y a pas d'idéalisme naïf dans ce livre. Janine Massard n'est pas du genre à trouver tous les gens merveilleux. Elle évoque par exemples d'autres passeurs qui se sont enrichis mystérieusement pendant la guerre, et les objets personnels qu'on retrouvait à cette époque flottant au milieu de l'eau.

    Au total, Gens du Lac est donc plus qu'un témoignage. Le livre propose une fresque sociale embrassant plusieurs décennies, une histoire familiale qui évoque la condition passée des femmes, et un bel hymne d'amour au lac Léman.

    Janine Massard, Gens du Lac, Editions Bernard Campiche