• Semaine chargée pour notre ami Pierre Béguin. A peine son dernier livre est-il sorti (le 3 janvier) qu'il se trouve en ligne de mire des médias helvétiques et hexagonaux. Vous ne connaîtrez ni le jour ni l'heure, coédité par les Editions de l'Aire pour la Suisse, et les éditions Philippe Rey pour la France, suscite les articles et les émissions de radios... On ne sera donc pas le premier à en parler ? Pas le dernier non plus, c'est sûr.

    C'est que le thème du livre traite d'une actualité brûlante. Vous ne connaîtrez ni le jour ni l'heure parle d'euthanasie programmée, de suicide assisté.

    La réalité est brutale : confrontés à de graves maladies et à la perte de leur autonomie, les parents de l'auteur se sont inscrits à Exit (Association pour le droit de mourir dans la dignité). Leur état s'aggravant, ils ont décidé de s'en aller ensemble.

    De cet événement, Pierre Béguin a tiré un roman. Un roman, oui. Le choix du genre n'est pas anodin. Béguin a opté pour un point de vue délibérément subjectif et personnel, afin de ne pas impliquer les proches. Mais il s'agit bien de son expérience et du retentissement qu'elle a eue en lui.

    Le cadre du livre est temporellement inscrit : la veille du suicide assisté, le narrateur s'installe dans sa chambre d'enfant et se met à écrire. Il relate les événements qui se suivent au fil des heures, l'attente, la procédure, le départ des corps sur un brancard, puis, plus tard, le dépôt des urnes funéraires sous la pierre de la tombe familiale. En même temps, il tente de s'expliquer la décision de ses parents, essaie de comprendre, retourne en arrière.

    Retenu, sincère, le livre fouille profondément dans le fonctionnement d'une famille, dans ses malentendus, ses incompréhensions, ses tendresses, confronte les époques, leurs valeurs, leurs changements. Si bien que ce texte est également une autobiographie, et un portrait juste, touchant, sans mièvrerie, de la mère aimante et du père, personnage haut en couleurs.

    Il est décrit sans concession : lui que l'adolescent révolté considérait comme un « péquenot crotté et vociférant » ; ce maraîcher couvrant de sarcasmes son fils qui faisait des études universitaires, consacrées à la littérature en plus...

    Ce vieil homme, le fils n'a pas pu lui parler même en connaissant sa fin programmée. Et il a fallu, on le sent, l'écriture de ce livre, pour qu'une compréhension s'établisse, pour qu'une réconciliation définitive ait lieu. Pour que des points de contact soient découverts, des similitudes mises à jour, une identité de destin relevée aussi, universelle : il est de nature que les pères laissent des orphelins, lesquels, devenus pères à leur tour...

    Cette réconciliation, notamment, donne au livre une impression finale de sérénité, de sagesse, d'acquiescement. Car malgré la gravité de son sujet, le roman n'a rien de morbide.

    Après toutes les luttes, les refus, les souffrances, les désespoirs, il s'agit bien, à la fin, d'une acceptation du choix des parents, sans jugement. L'acceptation de « cette ultime liberté qu'ils se sont octroyées », cautionnée par l'amour, par une vie d'amour.



    Pierre Béguin, Vous ne connaîtrez ni le jour ni l'heure, Editions de l'Aire / Philippe Rey