• Entre deux, le premier recueil de nouvelles de Marina Salzmann, a réussi à faire resurgir un serpent de mer : la question de l'écriture féminine. On a ainsi entendu des critiques se disputer à son sujet, se demander s'il y avait une manière d'écrire propre aux femmes et des textes qui leur seraient destinés.

    La réponse ? Pas de réponse, bien entendu. Un débat. Et un livre qui montre sa force par le questionnement qu'il provoque.

    Ce qui unit les textes de Marina Salzmann, cependant, et leur donne de la substance, ce n'est pas du tout une idéologie mais deux choses : une personnalité qu'on retrouve derrière chaque ligne et une ambiance cohérente.

    La personnalité est féminine, évidemment, et des thèmes sont liés à cette caractéristique. Par exemple, dans L'homme sur mon dos, une femme porte un homme accroché à son échine, une figure qui évoque le mari et le fils.

    Mais Marina Salzmann ne vise pas à exprimer des revendications. Elle propose une vision du monde plus poétique que politique : dans L'homme sur mon dos, ne supportant plus ce poids et ne tenant plus à la vie, la narratrice se jette d'un arbre et atterrit sans encombre. Elle prend goût à ces chutes, saute pour toutes sortes de causes, qui la rendent célèbre et la mènent loin dans le passé.

    A l'instar de cette nouvelle, beaucoup de textes nous conduisent vers le symbolisme, le surréalisme ou le fantastique. Le monde instable ainsi suscité, entre réel, folie et imaginaire, baigne dans une ambiance homogène. Une ambiance qui prend sa source dans un genre.

    Ces textes ont en effet une référence presque constante : le conte de fée. Moins dans leur structure que dans les effets d'écriture, qui transforment par exemple une excursion à Sills Maria en voyage merveilleux, ou qui font passer dans certains récits un émerveillement d'enfant imaginatif.

    On découvre les objets, leur forme, leur couleur, leur nom, on voit des événements qu'on ne comprend pas tout à fait, on rencontre des personnes dont le comportement ne nous est pas tout à fait clair. Il y a là-dedans un plaisir à voir. Quelque chose de lumineux, de frais. Comme si Marina Salzmann était émerveillée par le monde qui l'entoure.

    Pour dire tout ça, la langue se diversifie, souple et travaillée. Du langage enfantin, donc (« Faut dire que Jean est plus jeune qu'elle, mais légèrement plus jeune, donc il sera quand même vieux en même temps, tandis que Paul, qui a vingt ans de plus, sera déjà mort, surtout si elle arrive très très vieille. ») au récit soutenu (« Mes pensées se disloquent aussi, comme une porte dont les deux battants bâilleraient de plus en plus, liés qu'ils sont de manière lâche par un fil rouge entrecroisé dont le nœud peu à peu se défait. »)

    Les effets sont variés, le langage maîtrisé, ce qui n'étonnera pas ceux qui ont suivi la trajectoire de Marina Salzmann, poétesse sonore et fondatrice de la revue littéraire Coaltar.

    Bref, un recueil réussi, habité. Pour les hommes ? Pour les femmes ? Pour ceux qui aiment l'écriture exigeante et jouissive. Par exemple pour moi et pour notre ami Antonin Moeri qui en a parlé dans un bel article, Jubilation du conteur.

     

    Marina Salzmann, Entre deux, Bernard Campiche Editeur