•  

    Lempen_une_croisiere.jpgLe 9 novembre 2008, Myriam Makeba s'écroule au moment des saluts, après un concert de soutien à Roberto Saviano, écrivain poursuivi par la camorra à cause de son roman Gomorra. A bout de forces, ne se déplaçant plus qu'en chaise roulante, la chanteuse sud-africaine, icône de la lutte anti-apartheid, a accepté de se produire dans la petite ville de Castel Volturno pour protester contre un crime raciste qui s'y est déroulé quelques semaines auparavant. Un commando d'hommes blancs déguisés en policiers a massacré à la kalashnikov cinq Africains dans l'atelier de couture que gérait l'un d'entre eux. Le lendemain, une foule immense d'immigrés indignés a bloqué la ville. Roberto Saviano au nom des militants anti-camorra, a relevé qu'elle montrait l'exemple aux Italiens du coin qui, eux, s'arrangent du système mafieux et du racisme.

    Le 14 novembre 2008, à l'aéroport d'Abou Simbel, des touristes qui terminent une croisière sur le Lac Nasser, privés jusque là des nouvelles du monde, apprennent la mort de la chanteuse. Elle les laisse plutôt indifférents. « C'est vrai qu'elle était vieille. Pata pata. ».

    Une Croisière sur le Lac Nasser, se déroule entre ces deux bornes temporelles. Silvia Ricci Lempen, écrivaine rare mais couverte de prix, y suit le voyage organisé d'un groupe d'Européens en quête des vestiges de l'Egypte éternelle.

    Le roman, très bien écrit, est encadré par ces deux passages en narration externe qui racontent la mort de Myriam Makeba et l'attente de l'embarquement. Mais le récit central se compose pour l’essentiel des monologues intérieurs de quatre personnages principaux.

    Luis, beau journaliste, accompagné de sa femme, voit son couple se défaire pendant qu'il fantasme une aventure avec la belle Marie. Celle-ci, réceptive à son désir, le partageant, est accompagnée par une amie pharmacienne lesbienne et désespérément amoureuse d'elle, dont l'état de santé psychique se délabre tout au long du voyage.

    Si ce couple échoue à se rejoindre, ce n'est pas le cas de l'autre paire de personnages principaux, qui nouent une amitié inattendue. Marlène est une vieille dame, Charles-Etienne un homme coincé, maladroit, un peu simple, vendeur de jouets, un de ces êtres peu adaptés à la société de la concurrence et du profit.

    A travers les regards de ces voyageurs, on suit les incidents de la croisière, mais aussi les relations qui se créent, se tendent, les évaluations et les convoitises, les attentes et les déceptions. L'entrelacement des points de vue crée une tension progressive. Quelque chose se prépare, va se passer.

    Silvia-Ricci-Lempen.jpgMais ce qui arrive finalement, le drame conclusif, n'est pas du tout celui que le lecteur attend. Les personnages sont rattrapés par le monde extérieur, par ce qui se passe là où ils ne sont pas, ailleurs que dans cette bulle lente du voyage organisé...

    Finalement, le bilan du circuit laisse aux personnages plus d'attentes et d'espoirs que de réalisations. Les amours ont échoué, les désirs sont restés vains, les familles se sont disloquées, les carrières ont patiné : Une Croisière sur le Lac Nasser est un livre désillusionné. Serait un livre désillusionné s'il n'y avait pas cette amitié forte entre la vieille dame et le jeune paumé.

    Nous vivons dans un monde difficile et violent, semble dire Silvia Ricci Lempen, les relations y sont compliquées, les désirs contrariés, les drames fréquents. Mais rien n'est perdu tant que de l'estime, de la fraternité, de l'entraide, de l'attachement peuvent se nouer entre des gens que tout semble séparer.

     

    Silvia Ricci Lempen, Une Croisière sur le Lac Nasser, Editions de L'Aire