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    Il y a une rumeur qui court, au sujet de Jean-Marc Lovay. Personne n'aurait jamais pu finir un seul de ses livres.

    C'est un peu péremptoire. Moi-même qui vous parle...

    Et même, d'accord, admettons que ce soit vrai. Les livres de Lovay ne sont pas des romans policiers où tous les éléments mis en place en cours de lecture ont un intérêt en fonction d'une fin. Ils fonctionnent différemment.

    Par exemple, Lovay dit volontiers qu'il n'écrit qu'un seul grand livre. Chaque parution serait donc... quoi? un chapitre? Admettons. Mais on voit bien qu'il est possible d'entamer un texte sans avoir lu tout ce qui précède. Il y a d'ailleurs des thématiques propres à chacun des volumes qu'il laisse publier.

    Dans Réverbération, il s’agissait de Krapotze, « ancien meilleur apprenti pleureur final », qui se présentait au poste de Grand Suicideur. Chute d'un bourdon, son dernier opus, sorti il y a quelques mois chez Zoé tourne autour de l'Accordéon, « conglomérat expérimental » dont « les bâtisses étaient serrées sous une immense toiture de façon à pouvoir se retenir de respirer comme l'accordéoniste qui bloquait le soufflet de son instrument chaque fois que les gaz se mélangeaient à l'innocence de l'air pour en faire une martiale atmosphère. »

    Cet Accordéon est une représentation du travail, du travail douloureux, observé et perçu par un narrateur changeant. Autour de lui, on trouve quelques personnages, l’employeuse Pie-Ronde, un perroquet, un bourdon. On éprouve une présence de la nature, un rapport à la machine. Mais il est impossible évidemment de résumer une quelconque histoire qu'on y trouverait.

    Tous ceux qui ont fait l'expérience de se plonger dans un texte de Lovay ont éprouvé que le sens, la logique, le rationnel, chez lui, s'effondrent au fur et à mesure de la lecture. Ça ne veut pas dire que cette lecture n'a pas d'intérêt, que le lecteur ne puisse goûter ces textes et en tirer un profit, le goût d’une certaine résistance, d’une ouverture, d’une liberté intérieure. jean%20marc%20lovay%20le%20chute%20d%27un%20bourdon--227x170.jpg

    Parce que c'est très beau, Lovay. En tout cas, moi, je suis sensible à cette langue hypnotique, somptueuse, imagée, oxymorique.

    Il y a deux manières de l'apprécier, me semble-t-il, qui dépendent de la vitesse qu'on adopte. Soit on lit assez rapidement, comme le fait Lovay lui-même (à la dix-huitième minute de l’émission Entre les lignes qui lui est consacrée et dans laquelle il répond à quelques questions) et on est capté par la longue phrase, ramifiée, rythmée par les oppositions sémantiques, souple mais charpentée. Soit on ralentit et on devient alors sensible aux éclatements de mots, aux surprises verbales, au surgissement des expressions et des images.

    Et bien sûr, il y a encore un autre rythme à prendre, dans une macrostructure différente, si l'on veut démentir la rumeur. Ne pas tenter d'arriver au bout du livre en un après-midi, ou une nuit. Le poser dans un endroit de chevet, le reprendre régulièrement, à raison de quelques pages à chaque fois, et se laisser aspirer, enlacer, bercer. Jusqu'à la fin.

    On n'aura peut-être pas appris alors qui est l'assassin de la vieille dame, mais on sera plus riche, et peut-être que la vie nous semblera plus large. Parce qu'on aura exploré une langue et une individualité singulière.

     

    Jean-Marc Lovay, Chute d'un bourdon, Editions Zoé