• Holbein, danse macabre

    Il y a plusieurs tons dans le Voyage au bout de la nuit. Un ton désabusé, triste, qui prend en compte la mort qui hante Bardamu. Notre héros, depuis la guerre, se sent en sursis. Sa vie est une longue agonie. Le ton lié à ce thème allie la nostalgie des espoirs déçus, le cynisme conséquent et le chagrin.

    Un deuxième ton, joyeux, bouffon, se moque de la comédie sociale, des croyances et des conventions. Il prend de l'importance à la fin du livre, principalement quand Bardamu se retrouve dans la maison de fous.

    Les longs discours de Baryton, le directeur, tiraillé entre la gestion économique de sa maison de santé, sa seule passion, et une envie de découverte, d'initiation vagabonde, suscitée par l'anglais qu'il a appris avec Bardamu, sont de ce genre. Tout comme, par exemple, le récit que fait Robinson de la fin de ses amours avec Madelon.

    Il y aurait un troisième ton, visionnaire, délirant, plus diffus, moins concentré. On le trouve à plein dans la somptueuse sarabande mortuaire que Bardamu imagine, dans un café de la Place du Tertre.

    Il attend près de Tania, sa copine danseuse polonaise du Tarapouk, dont l'amant vient de mourir de la grippe à Berlin. Bardamu l'a accompagnée à la gare, mais comme il n'y a plus de train possible, ils ont échoué dans un bistrot. Là, Bardamu touche le prix de son dévouement pendant que, au-dessus d'eux, dans le ciel, passe une danse macabre.

    Ecoutez plutôt: « Tania me laissait pour la consolation et la reconnaissance l'embrasser où je voulais. » Non, là, on a changé de ton.