• L'école des Femmes, photo Tribune de Genève

    Il y a un arbre sur scène. Gigantesque. Un arbre sans feuilles, une sorte de souche.
    De la Souche est, n'est-ce pas, le nouveau nom d'Arnolphe, qui s'est ennobli. Ce changement de classe sociale fait miroir avec celui d'Agnès, la jeune fille qu'il a quasiment achetée à quatre ans, pour l'élever à sa guise et l'épouser ensuite. Il veut ainsi éviter d'être cocu, sa grande hantise.
    Agnès est une fille de paysanne, croit-on, Arnolphe lui apprend à quel point elle a de la chance qu'il veuille l'élever jusqu'à lui. Mais, comme on le sait, les jeunes filles sont faites pour aimer les jeunes hommes, l'amour va donner de l'esprit à Agnès, qui n'est pas celle qu'on croit, et le cinquième acte réserve au spectateur un coup de théâtre qui clôt tous les rebondissements et quiproquos de la pièce.
    De quoi poser des questions aux passionnés de Molière. L'Ecole des femmes lui a en effet été inspiré, dit-on, par sa situation personnelle. A 40 ans, il a épousé Armand Béjart qui avait 19 ans, et qui aurait été soit la fille, soit la sœur de son ex-maîtresse Madeleine Béjart...
    L'arbre, donc. Il soutient une cabane, merveilleuse construction jusqu'à ce qu'on se rende compte qu'elle est en fait une cage à oiseaux, dans laquelle est enfermée Agnès. Sinon, quelques lumières et un rideau suffisent pour imager la déroute d'Arnolphe, qui croit maîtriser tout ce qui l'entoure, et qui se découvre finalement jouet des circonstances et de l'amour qui le ronge malgré lui.
    Ce décor sobre est lié à la volonté du metteur en scène Jean Liermier de coller le plus possible au texte, de le faire entendre. La mise en scène sacrifie ainsi les facilités comiques à la lisibilité.
    Tous les acteurs sont parfaits. Joan Mompart est un Horace naïf et enthousiaste. Lola Riccaboni en Agnès, compense la lourde tâche d'incarner le prototype théâtral de l'ingénue par un naturel ferme. Gilles Privat dans le rôle titre compose un personnage complexe, cynique, bien sûr égoïste, mais aussi fragile et qui suscite presque la compassion.
    La fin en est une belle illustration. Arnolphe disparaît de la pièce. Chez Liermier, les parois de la scène, l'univers où il croyait triompher, s'effondrent, et le vieux macho s'éloigne lentement dans le brouillard lointain, s'efface peu à peu, guetté par Agnès qui semble prendre à ce moment la mesure du tragique du personnage.

    L'école des femmes, de Molière. Mise en scène de Jean Liermier. Avec Gilles Privat Arnolphe Lola Riccaboni Agnès Joan Mompart Horace Jean-Jacques Chep Alain Rachel Cathoud Georgette Nicolas Rossier Chrysalde. Théâtre de Carouge, jusqu'au 8 mai 2010