• Je me demande parfois pourquoi je continue la lecture de l'interminable Journal des Goncourt (voir ici, ici et ici).
    Un portrait fait par GavarniEn 1889, Edmond est un vieil auteur désagréable, grognon, vantard, jaloux, aigri, méprisant, persuadé que ses gigantesques qualités sont méconnues volontairement par les critiques, et que tout ce qui compte dans la littérature pille ou a pillé impunément ses œuvres.
    En plus de toutes ces belles qualités, il est antisémite, ne perd pas une occasion pour déblatérer contre la juiverie, vit replié entre la famille Daudet et le salon de la princesse Mathilde dont il ne nous passe pas une intrigue, s'attache particulièrement au minutieux compte-rendu fastidieux des démêlés de celle-ci avec son amant Popelin.
    Et ses goûts picturaux : il est le seul à savoir voir, met au-dessus de tout Gavarni, un peintre-caricaturiste oublié aujourd'hui, n'aperçoit dans les tableaux des impressionnistes que de « la peinture plâtreuse, à la colle »...
    Et puis soudain, une description fulgurante, magnifique :
    « Un ciel mauve, où les lueurs des illuminations mettent comme le reflet d'un immense incendie, un bruissement de pas faisant l'effet de l'écoulement de grandes eaux, la foule toute noire, de ce noir un peu papier brûlé, un peu roux, qui est le caractère des foules modernes, une espèce d'ivresse sur la figure des femmes, dont beaucoup font queue à la porte des water-closets, la vessie émotionnée, la place de la Concorde : une apothéose de lumière blanche, au milieu de laquelle l'obélisque apparaît avec la couleur rosée d'un sorbet au champagne, la tour Eiffel faisait l'effet d'un phare laissé sur la terre par une génération disparue, une génération de dix coudées. » (6 mai 1889)