• La première partie de Du côté de chez Swann, Combray est une miniature. Une société figée, réduite, charmante et ridicule, qui susciterait un ennui profond, qui n'aurait aucun Marcel Proustintérêt si elle n'était observée par l'ironie généreuse de Proust.
    La cruauté progressive de la tante Léonie envers la dévouée Françoise, les méchancetés de la grand'tante envers la grand'mère, qui n'est pas de la famille, contre qui elle cherche à agglomérer tout le monde, qu'elle veut faire souffrir, l'exaltation de celle-ci à tourner dans le jardin en absorbant les bourrasques vivifiantes, la pluie et les vents, la situation de caste et la position exacte de chacun dans le village, l'observation minutieuse de tous et les critiques acerbes sur tout comportement qui dévie, une vie sociale figée, les commérages, le manque de surprises de cette vie, dont le plus grand événement est qu'on avance le déjeuner d'une heure le samedi, la répétitivité des promenades familiales...
    Tout cela, à vivre, serait un enfer. Si le récit nous paraît si charmant, c'est parce que les petits faits sont teintés par l'émerveillement de Proust. Qui n'est pas dans le spectacle vu, mais dans son regard. Nostalgique, bien sûr. Poétique.
    Une des grandes ressources de l'auteur, c'est de faire communiquer les choses, de donner à un objet une ou plusieurs caractéristiques de ce qui l'entoure. De les lier par métonymie. Mais il pratique aussi le regard métaphorique, qui permet de suggérer sous la réalité une autre, artistique, imaginaire, menant à un sens vague et caché, qui ne demande qu'à se révéler mais échoue sur le moment à le faire en entier.
    Elle se révélera plus tard. Quand ? Comment ? Patience !
    La composition rigoureuse de Combray ne frappe pas tout d'abord. On se demande même, la première fois qu'on aborde Proust, où on en est, où il veut nous mener. Mais tout suit un plan précis. 
    Après l'épisode du réveil qui sert en quelque sorte d'introduction, on passe aux deux visions de Combray. Celle qu'a laissée la mémoire volontaire (le baiser de la mère). Puis celle qui renaît de la mémoire involontaire, après que le goût de la madeleine a ressuscité le passé.
    Suivent ensuite les descriptions  des deux promenades possibles. Du côté de chez Swan, puis du côté de Guermantes. Qui vont donner par la suite deux directions dans la vie du narrateur, avant de se rejoindre à la fin de l'ouvrage, des centaines de pages plus loin.
    La fin de Combray revient au réveil du narrateur, qui a revécu tout ça en flash-back, et se termine par le lancement d'Un amour de Swann.
    Lancement un peu embarrassé. Il y a un problème de cohérence, le narrateur devant longuement parler d'épisodes qui se sont passés avant sa naissance et qu'il va décrire avec une précision de détails extrême.
    Il faut que ce soit plausible. Que la position narrative soit homogène. C'est pourquoi Proust parce de « cette précision dans les détails plus facile à obtenir quelquefois pour la vie de personnes mortes il y a des siècles que pour celle de nos meilleurs amis, et qui semble impossible comme semblait impossible de causer d'une ville  une autre - tant qu'on ignore le biais par lequel cette impossibilité a été tournée. »
    Il est un peu embêté. On le voit bien : il en fait un peu trop.